Mais la perspective des élections du 30 janvier •qui en plus de la désignation d’une assemblée constituante doivent également permettre le renouvellement des élus des conseils provinciaux du pays• a bouleversé le fragile équilibre qui prévalait jusqu’à présent à Kirkouk. Pour éviter le boycottage par les Kurdes du scrutin régional dans la province de Taamim, dont la cité pétrolière est le chef-lieu, le gouvernement d’Iyad Allaoui a en effet autorisé quelque 100 000 Kurdes originaires de la ville et déportés par le régime baasiste à y voter. Cette augmentation conséquente du nombre d’électeurs kurdes devrait assurer à cette communauté une solide majorité au Conseil de la province qui se fera nécessairement au détriment des autres minorités. L’actuel Conseil compte en effet quinze Kurdes, onze Arabes, neuf Turcomans et sept chrétiens. Et grâce au jeu des alliances, un équilibre fragile a jusqu’à présent régné dans la région de Taamim. Une redistribution des cartes pourrait donc sérieusement remettre en question ce calme relatif car si elles sont pour le moment contenues, les rivalités ethniques risquent de dégénérer en violences à plus grande échelle.
Boycott des formations arabes
Si les Kurdes ont en effet salué la décision du gouvernement Allaoui •après le boycott par les sunnites des élections, il était difficile de concevoir une absence de cette communauté à un scrutin même régional• les formations arabes ont en revanche rejeté l’accord conclu mi-janvier sur le vote dans la province de Taamim. Le Front unifié arabe, qui regroupe des partis sunnites et chiites, a en effet annoncé en début de semaine qu’il ne participerait pas à l’élection du nouveau Conseil provincial. «Nous avons pris la décision de nous retirer car la commission électorale a autorisé les Kurdes déplacés à voter en dépit des tensions communautaires qui existent dans certains quartiers de Kirkouk», a fait valoir le secrétaire général de ce mouvement, cheikh Wasfi al-Assi. Les Turcomans ont pour leur part saisi la commission électorale mais aussi les Nations unies pour obtenir un retour au statu quo qui prévalait jusqu’à la signature de cet accord. «C’est la seule façon de permettre des élections justes qui ne favoriseront pas la partie kurde aux dépens des Turcomans et des Arabes», a insisté Farouk Abdallah Abdou Raham du Front turcoman irakien, un mouvement qui pour le moment ne s’est pas encore retiré de la course électorale. Ces exigences ne semblent toutefois pas émouvoir les Kurdes qui n’ont visiblement pas l’intention de céder quoique ce soit sur Kirkouk.
La situation dans cette riche cité pétrolière, située à 250 km de Bagdad, pourrait donc bien être l’un des dossiers que devra en priorité traiter le nouvel exécutif issue des élections du 30 janvier. Elle représente déjà un casse-tête pour les services de renseignement militaire américains qui ne cachent plus leur préoccupation face aux tensions qui la secouent. Sept Irakiens ont encore été tués et huit autres blessés dans deux attentats suicide à la voiture piégée perpétrés simultanément mercredi devant un commissariat des environs de la ville. «Kirkouk est l’un de nos plus graves soucis», a ainsi récemment confié un officier américain. «Si les Kurdes gagnent la ville, nous nous attendons à une percée de la Ligne verte •‘frontière’ qui sépare la province de Taamim de la région semi-autonome kurde au nord•, tandis qu’en cas de victoire arabe, des violences entre Kurdes et Arabes pourraient se déclencher», a-t-il ajouté.