Kirkouk, ville plurielle, attend anxieusement les élections

Info (Reuters) dimanche 11 décembre 2005, mis à jour à 18:08

A l'approche des élections législatives de jeudi, les dirigeants kurdes de Kirkouk multiplient les efforts pour faire réintégrer plus de 200 000 Kurdes sur les listes électorales de cette ville où pratiquement toutes les ethnies et religions d'Irak sont représentées.

Nous avons déposé une réclamation il y a plusieurs jours déjà et ils n'ont rétabli sur la liste qu'une seule personne sur un total de 218.000", s'est plaint samedi Razgar Ali, un homme politique kurde de Kirkouk.

Hussein Hindaoui, président de la Commission électorale indépendante d'Irak, a pour sa part déclaré dimanche à Reuters que la commission avait examiné la réclamation kurde et que toutes les personnes dont les noms ont été retirés de la liste pourraient voter le 15 décembre.

Mosaïque humaine où cohabitent Kurdes, Turkmènes et Arabes, sunnites, chiites ou chrétiens, Kirkouk se trouve dans une région renfermant plus de 20% des réserves pétrolières d'Irak, ce qui en fait un enjeu considérable pour les différentes communautés.

Les murs de la ville sont recouverts d'affiches électorales, y compris celles d'Arabes sunnites, qui avaient dans l'ensemble boycotté les élections de janvier.

UNE PARTICIPATION SUNNITE PLUS FORTE ?

"Ces élections seront marquées par un fort taux de participation sunnite qui changera l'équilibre du pouvoir en Irak parce que, nous les Sunnites, tenterons d'élire une liste sunnite pour regagner le pouvoir", explique Ahmed Hassan, ingénieur dans l'industrie pétrolière.

L'absence de sondages d'opinion fiables rend difficile toute prévision. Mais des hommes politiques kurdes confient en privé qu'ils espèrent remporter de trois à cinq des neuf sièges parlementaires en lice dans la province de Tamim.

Obtenir la majorité conforterait leur campagne pour le rattachement de Kirkouk au Kurdistan et pour la restitution des propriétés prises aux Kurdes par Saddam Hussein.

Un mécanisme de restitution des propriétés a bien été instauré par la nouvelle Constitution, mais jusqu'ici il ne s'est guère traduit dans les faits.

"Nous voulons récupérer Kirkouk. Ce n'est que justice", a déclaré la semaine dernière Hero Talabani, épouse du président irakien Djalal Talabani, membre de la communauté kurde.

L'ancien régime a chassé des milliers de Kurdes de la ville et les a remplacés par des Arabes. Et si cette arabisation de Kirkouk a précédé Saddam Hussein, il y a donné un brutal coup d'accélérateur.

MEFIANCE RECIPROQUE

De récentes rumeurs d'arrestations et d'évictions d'Arabes par la police kurde ont renforcé la méfiance. Les partis kurdes sont par ailleurs accusés d'installer à Kirkouk des milliers de leurs partisans pour augmenter leur poids électoral.

"Les Kurdes se méfient des Arabes. Les Arabes se méfient des Turkmènes", résume Chwan Dawoodi, rédacteur en chef de Hawal, journal kurde dont le siège est à Kirkouk. "Tant que ce problème ne sera pas réglé, rien d'autre ne fonctionnera, même si Kirkouk est rattaché au Kurdistan au sein d'une province indépendante", prédit-il.
Un référendum sur l'avenir de la ville doit se tenir à Kirkouk d'ici décembre 2007, ce qui suscite bien des craintes.

"Nous pourrions perdre Kirkouk", redoute Sadettin Ergec, du Front turkmène irakien. "Kirkouk est un trésor national et nous refusons qu'un référendum se tienne là seulement."

Face à de tels enjeux, tous les partis politiques se mobilisent pour encourager leurs électeurs à voter massivement.
"Cette fois, tout le monde va participer. La sécurité est relativement bonne, en particulier si nous les comparons avec les élections précédentes", affirme Nour Abdoullah, un enseignant turkmène, qui confie son intention de voter pour l'ancien Premier ministre irakien Iyad Allaoui, un chiite laïc.

Ce dernier pourrait attirer des électeurs séduits par sa réputation de rigueur en matière de sécurité. Ses adversaires le considèrent à l'évidence comme une menace et nombre de ses affiches électorales ont déjà été déchirées à Kirkouk.

Dans l'ensemble, les observateurs s'attendent néanmoins à ce que les électeurs votent selon les clivages communautaires.
Chez les Kurdes, les principaux partis se sont mis d'accord pour présenter une liste commune, à l'exception de l'Union islamique kurde, qui fait cavalier seul.