Kurdes assassinées: la piste politique

mis à jour le Jeudi 9 janvier 2014 à 10h00

Lexpress.fr | Par Eric Pelletier

Un an jour pour jour après l'assassinat de trois militantes du PKK à Paris, L'Express fait le point sur les dernières avancées de l'enquête. La clef de l'affaire se trouve sans doute en Turquie. Quant au portrait du suspect, ömer Güney, il se précise. 

Qui est vraiment ömer Güney? La juge Jeanne Duyé, les policiers de la brigade criminelle et ceux de la sous-direction antiterroriste, chargés d'élucider l'assassinat de trois militantes kurdes, commis rue Lafayette, à Paris, le 9 janvier 2013, tentent de percer le mystère de leur unique suspect. Ils sont au moins sûrs d'une chose: ömer Güney n'est pas celui qu'il prétendait être au lendemain de son arrestation. Celui-ci se dépeint toujours comme un jeune Turc, un brin idéaliste, sympathisant de la cause autonomiste kurde et obsédé par l'idée de trouver une épouse après un mariage calamiteux. "Je suis kurde à 100%. La seule différence avec les combattants (...) et moi c'est qu'eux ont une Kalachnikov dans le dos et que moi je porte des documents, expliquait-il encore récemment au magistrat instructeur. Au lieu de porter des armes, je porte des papiers."  

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Ses camarades eux-mêmes le voyaient comme un militant naïf. Il est, par ailleurs, atteint d'une tumeur au cerveau, pouvant provoquer des crises d'épilepsie. Güney, pensait-on, n'avait pas la carrure d'un espion. Mais il apparaît aujourd'hui que l'homme sait se montrer calculateur et méthodique. D'ailleurs, l'ambiance des interrogatoires avec la juge Jeanne Duyé s'est récemment durcie au fur et à mesure que les questions se faisaient plus précises. 

Que s'est-il passé le 9 janvier?

Omer Güney s'était peu à peu rendu indispensable aux membres de la communauté qui profitaient de sa bonne maîtrise du français et de sa connaissance de l'administration. Il avait rejoint l'association kurde de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), après un long séjour en Allemagne, entre 2003 et 2011. Etonnamment, les services de sécurité du PKK, groupe marxiste léniniste considéré comme terroriste par l'Union européenne, n'avaient détecté aucun danger.  

A tel point qu'au début du mois de janvier 2013, Güney avait été mis à disposition d'une icône du mouvement, Sakine Cansiz, 54 ans, lors de son passage en région parisienne. C'est lui qui l'avait conduite en voiture au 147 rue Lafayette (Xe), siège du Centre d'information du Kurdistan, là où elle a été tuée par balles aux côtés de deux autres jeunes militantes, Fidan Dogan et Leyla Soylemez

Que s'est-il passé le 9 janvier 2013 derrière cette lourde porte cochère, à deux pas de la Gare du Nord ? Les caméras de vidéosurveillance ont permis d'attester de la présence de Güney à l'intérieur de l'immeuble, à l'heure estimée de la mort, entre 12h11 et 12h56. De la poudre a été relevée sur sa sacoche. Mais il conteste fermement être impliqué dans la tuerie. " En me mettant en prison, l'Etat français chercher à cacher quelque chose ", clame le détenu. 

329 fiches d'adhérents photographiées en pleine nuit la veille des crimes

Au l'époque des faits, les enquêteurs étaient encore divisés sur la piste à privilégier. La sous-direction antiterroriste de la police judiciaire penchait pour une piste personnelle, évoquant un geste de folie. Güney entretenait en effet des relations ambiguës avec certaines femmes du mouvement, se montrant parfois très insistant. En outre, le comportement cassant de Sakine Cansiz à son égard avait de quoi l'irriter. De son côté, la brigade criminelle était sceptique. Notamment à cause du moment où le crime intervenait, quelques jours seulement après le lancement officiel de négociations entre la guérilla kurde et le gouvernement turc du Premier ministre Erdogan. Un moment propice à toutes les manipulations, du côté du pouvoir, des puissants services secrets, comme d'une éventuelle dissidence au sein du mouvement armé kurde. Leurs soupçons ont été renforcés par la découverte du passeport d'ömer Güney, caché derrière la console radio de sa voiture : le document permet de retracer plusieurs déplacements à Istanbul et à Ankara au cours de l'année 2012, notamment du 18 au 21 décembre, peu avant le triple homicide. 

Un an plus tard, les investigations ne laissent plus guère de place au doute : trois éléments convergents accréditent l'hypothèse d'un crime politique. Premièrement, les experts de la police technique et scientifique ont fait "parler" le téléphone portable Nokia d'ömer Güney, en restaurant d'anciens fichiers effacés. Ces images prouvent que le 8 janvier, au petit matin - la veille de l'assassinat - le jeune homme est rentré, de nuit, dans les locaux de l'association à Villiers-le-Bel pour photographier 329 fiches d'adhérents entre 4h23 et 5h33. Deux jours plus tôt, il avait déjà pris en photo les comptes retraçant l'activité de racket auprès de la communauté. 

D'autre part, les amis turcs qu'il fréquentait en Allemagne, dans la région de Munich entre 2003 et 2011, ont été interrogés. Ils décrivent Güney comme un "loup gris", favorable aux thèses du parti nationaliste MHP. "ömer est à mon avis, tout comme moi, un Turc d'extrême droite, des Turcs fiers qui ne se laissent pas manger la laine sur le dos par les Kurdes", dit l'un d'eux. "Omer qualifiait le PKK et ses partisans de terroristes", complète un autre.  

Enfin, l'enquête se resserre autour des correspondants habituels d'ömer Güney en Turquie. Les policiers ont isolé 214 appels passés depuis la France, via un téléphone mobile turc, au second semestre 2012. Certains d'entre eux renvoient vers des numéros "atypiques pouvant s'apparenter à des numéros techniques, dont la fonction ou l'origine ne peut être déterminée". Des numéros qui ne correspondent pas à la nomenclature des numéros classiques de particuliers ou d'administrations. La clef de l'affaire se trouve quelque part en Turquie.