LES HEURTS entre forces de sécurité et manifestants kurdes se sont poursuivis ce week-end dans le sud-est de la Turquie. Les affrontements se sont soldés par deux morts dans la ville de Kiziltepe, ce qui porte à neuf décès le bilan d'une semaine d'émeutes. Ces nouveaux troubles ont fait suite à un clash vendredi entre l'armée et un groupe armé issu des rangs du Parti des travailleurs kurdes (PKK), dans une zone montagneuse aux confins des frontières irakiennes et syriennes. L'incident a mis le feu aux poudres dans les localités des environs, où vivent les proches des clandestins.
A Kiziltepe, la foule a saccagé des magasins ainsi que les locaux du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir à Ankara. Le Premier ministre et chef de file de l'AKP Recep Tayyip Erdogan venait de mettre en garde les émeutiers en les accusant d'utiliser leurs enfants comme «pions du terrorisme». «Si demain vous pleurez, cela ne servira à rien», a-t-il lancé aux parents. Erdogan commentait la mort à Diyarbakir d'un manifestant de 8 ans, victime, selon des responsables politiques kurdes, d'un tir à balles réelles. Un autre enfant, de 3 ans, a été tué à Batman. Le bambin se trouvait sur la terrasse de sa maison lorsqu'il a été atteint à la gorge par une balle. Le projectile venait vraisemblablement de l'arme d'un policier, qui a tiré en l'air pour disperser des manifestants.
Climat d'état d'urgence
Le cycle des violences fonctionne selon un scénario bien rodé : des combats opposent le PKK aux gendarmes qui ratissent les campagnes. Les obsèques des militants abattus par les représentants du pouvoir central virent au pugilat. Les commerces ferment, la foule des sympathisants se rassemble, des barricades sont dressées. Les forces de l'ordre interviennent sans ménagement et quadrillent les quartiers. Diyarbakir, la capitale de la région où s'entassent des centaines de milliers de réfugiés chassés de leurs villages dans les années quatre-vingt-dix par la politique de la terre brûlée d'Ankara, est l'épicentre du conflit. L'ancien centre de la guérilla du PKK a replongé dans le climat d'état d'urgence qui régnait avant la trêve décrétée en 1999 par les partisans d'Abdullah Ocalan, dit Apo. Les habitants sont à nouveau pris entre le marteau du PKK et l'enclume des militaires. Frustrés, beaucoup s'estiment toujours discriminés par les autorités turques. Ils ne comprennent pas pourquoi l'impasse politique perdure, sept ans après la fin théorique d'un conflit qui a tué plus de 37 000 personnes.
Défenseur d'une solution négociée, le maire kurde de Diyarbakir, Osman Baydemir, a appelé ses concitoyens «à arrêter les actions et à rentrer chez eux». Le principal parti kurde de Turquie a demandé à la population locale de «ne pas agir avec une mentalité agressive». Mais la presse nationale exige du gouvernement qu'il ne baisse pas les bras devant les «provocations» du PKK. Ces clivages de plus en plus nets entre l'opinion publique turque et la minorité kurde se sont traduits hier à Istanbul par des débordements. Des manifestants kurdes ont attaqué la police antiémeutes avec des pierres, des bouteilles et des cocktails Molotov, avant d'être pris à partie et battus par des passants ultranationalistes.
Concessions aux Kurdes
De tendance marxiste-léniniste, le PKK est peu porté sur la culture du compromis. Critiqué pour ses méthodes staliniennes par ses dissidents, son chef historique, Abdullah Ocalan, a été capturé en 1999 au Kenya. Il est depuis détenu dans une forteresse sur l'île-prison d'Imrali, en mer de Marmara, d'où il continue à diriger en sous-main une organisation considérée comme terroriste par les États-Unis et l'Union européenne.
Soucieuses de se rapprocher des normes européennes, les autorités turques ont accepté quelques concessions. Ankara a desserré les mailles de son dispositif de contrôle du sud-est anatolien. Depuis peu, il autorise la diffusion de programmes en langue kurde par les télévisions et les radios. Mais ces émissions sont très limitées. Ainsi, les Kurdes de Turquie préfèrent se brancher, via les paraboles, sur les télévisions par satellite du Kurdistan irakien. Ils se tournent aussi vers Roj TV, l'organe de propagande du PKK basé au Danemark qui appelle, jour après jour, ses téléspectateurs à descendre dans la rue.