Correspondante à PARIS
En tant qu'être humain, au coeur de l'Europe, j'ai eu honte."
Mehmet, Kurde de Turquie, fait partie de ces milliers de migrants clandestins qui errent à travers l'Europe, fuyant la misère ou les pressions politiques. Génération désenchantée qui hante les rues de Marseille, Madrid, Rome, Amsterdam ou Paris. Partout, le marécage. Débrouille. Embrouilles. Mendicité, vol, deal, voire prostitution.Bruno Ulmer, ancien médecin urgentiste, peintre, et documentariste depuis dix ans, est allé à la rencontre de quelques-uns de ces jeunes, par le biais d'associations. D'abord en repérage. "J'ai essayé d'établir une sorte de cartographie des parcours géographiques et psychologiques",nous raconte-t-il. "Les Marocains vont à Séville, puis à Madrid. Les Roumains commencent par l'Italie. Ensuite, ils vont du Sud vers le Nord, vers une vie plus trépidante, qui parfois séduit. Ces villes occidentales, c'est aussi la modernité, les filles. J'ai essayé de traduire cette alternance d'expérience de la liberté et de la captivité dans des lieux dont ils ne maîtrisent rien."
Cinq minutes de fiction
Une fois le plan de tournage établi, de nouveaux repérages ont été nécessaires. Parce que les jeunes rencontrés des mois plus tôt avaient bougé, été arrêtés, expulsés... A nouveau renouer la confiance, avec l'aide d'interprètes, "des jeunes qui avaient vécu la même chose, pour parler de façon très libre."
Pendant près d'un an, dans une dizaine de pays, le réalisateur, assisté d'un cadreur et d'un ingénieur du son, tourne des images en 16 mm, ce qui donne un aspect cinématographique à son documentaire et brouille parfois les repères. Et pourtant, seules les cinq premières minutes, qui montrent le suicide d'un jeune Kurde, ont été reconstituées. "Cette lettre d'un Kurde à sa mère est réelle, l'homme qui l'a écrite s'est suicidé. Le jeune qui joue le rôle a vécu une histoire similaire et tenté de mettre fin à ses jours. A Berlin, j'ai rencontré des travailleurs sociaux dont les seuls contacts avec de jeunes kurdes se faisaient par le biais de l'hôpital, à la suite de suicides ou de tentatives", précise-t-il.
Le reste du documentaire, navigue en eaux troubles, hypnotique, entre images nerveuses, saturées, au plus près des migrants, soulignées parfois de musiques urbaines agressives, et plans fixes surexposés, en noir et blanc, tournés en vidéo, dans lesquels les jeunes parlent spontanément. Le documentariste refuse de parler d'esthétique.
"On a essayé de trouver un mode de narration qui complète le témoignage des jeunes, au travers des couleurs, de l'obscurité, des mouvements de caméra. C'est du cinéma vérité. Je voulais imposer du temps pour regarder ces jeunes, mettre un rocher au milieu du flux des images télé. Le 16 mm permet d'avoir une faible profondeur de champ, avec de gros plans sur ces jeunes au milieu d'un paysage flou."
L'Europe apparaît comme un "no man's land" abstrait, entre deux mondes. Celui qu'on a laissé derrière soi et celui auquel on rêve. Existe-t-il ? "Ils remettent en cause les villes, jamais leur rêve !" Bruno Ulmer se situe dans une démarche de long terme autour des jeunes immigrés, illustrée dans "Casa-Marseille Inch'Allah", sur des clandestins marocains, et "Petites bonnes", sur des esclaves domestiques. "Ils traitaient de la reconstruction, alors que Welcome EuropaH H H parle de déconstruction, ce qui est moins fédérateur, mais Arte m'a laissé cette liberté."
Au travers de son association "Calle del sol" (rue du soleil), Bruno Ulmer tente de suivre et d'aider Allal, Mehmet, Marius, Rafaël, Bogdan, Abdellah, Stefan, Igor... Grâce à des subventions, il édite aussi des livres gratuits pour susciter le débat, au-delà de la diffusion.
Son dernier projet en date : filmer les Maras, les ados gangsters de Los Angeles ou du Salvador, approchés par les théologiens de la Libération et par les églises évangéliques.