Les séparatistes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ont établi leur base arrière dans le Kurdistan irakien où ils retiendraient huit soldats turcs en otage depuis dimanche dernier.
- C’est sans surprise. Personne, en Turquie, ne croyait à cette offre de la part des séparatistes kurdes, que ce soit le gouvernement, l’armée, l’opposition, les médias ou l’opinion publique. Bien que la situation soit cette fois différente, il n’en reste pas moins que c’est au moins la cinquième fois que le PKK déclare un cessez-le-feu, chaque arrêt des hostilités ayant été suivi systématiquement de nouvelles attaques et de victimes. Même si Ankara annonce vouloir privilégier la voie diplomatique pour résoudre la crise, à l’heure actuelle, l’option militaire est déjà sur la table, et, à mon avis, il y a de grandes chances pour qu’Ankara choisisse d’intervenir dans le Nord de l’Irak dans le cadre d’une opération militaire limitée pour essayer de récupérer les huit soldats qui auraient été pris en otage par le PKK. Ce ne sera pas une guerre, juste une incursion. Cette opération permettrait au gouvernement turc de sauver la face vis-à-vis de l’opinion publique et de l’opposition qui font pression en exigeant une intervention militaire. Les autorités ayant mené une quasi-propagande prônant une politique dure vis-à-vis du PKK, elles se retrouvent maintenant prises à leur propre piège. Il se peut aussi que le PKK décide de chercher à échanger ses otages contre quelque chose.
- La crise actuelle est un piège pour les Etats-Unis : la Turquie et les Kurdes irakiens en appellent aux Etats-Unis pour résoudre le problème, ce qui met les Américains dans une situation très inconfortable puisqu’ils ne veulent, bien entendu, détériorer leurs relations avec aucun des deux camps : d’un côté la Turquie est un acteur important de l’Otan, elle sert de base arrière aux Etats-Unis pour leurs opérations en Irak, etc., et de l’autre le Kurdistan irakien est la seule région à peu près tranquille du bourbier irakien. Mais le gouvernement du Kurdistan irakien soutient le PKK qu’il ne considère pas comme une organisation terroriste contrairement à la Turquie, les Etats-Unis et l’Europe. On peut d’ailleurs penser que la situation en Irak est une aubaine pour le PKK : les séparatistes kurdes y bénéficient d’un soutien et d’un moyen de pression sur les autorités turques, qui se retrouvent piégées elles aussi, obligées de tergiverser sur les moyens de riposter aux agressions des séparatistes du fait de leur allié américain. Du coup, il y a beaucoup de ressentiment en Turquie contre la politique de Washington. De nombreux hommes politiques et intellectuels pensent même que le PKK est un outil dans les mains des Etats-Unis qui chercheraient à faire pression, en utilisant les séparatistes du PKK, sur la Turquie pour qu’elle mette un terme au problème kurde. Pour ma part, cette analyse me paraît exagérée. D’autre part, la Turquie a aussi des moyens de pression sur ses alliés Américains pour qu’ils interviennent contre le PKK. Je pense ainsi que si le parlement turc a donné son autorisation le 17 octobre à des opérations transfrontalières, c’est précisément pour forcer les Américains à faire quelque chose. Et Washington ne peut se payer le luxe d’un conflit avec Ankara.
- La solution devrait être à la fois interne et internationale car l’enjeu est double. La question est internationale avant tout parce les communautés kurdes sont dispersées sur 4 pays différents : Irak, Turquie, Iran, Syrie. Cet aspect du problème est aujourd’hui en sommeil et Ankara craint d’ailleurs l’éventualité d’une division du territoire irakien car cela remettrait cette question sur le devant de la scène, avec la création d’un Etat kurde à sa porte, et très probablement un conflit régional entre les puissances de la zone. Ceci dit, la position des autorités turques est aussi contradictoire car elles cherchent déjà à développer leurs relations économiques avec le Nord de l’Irak. Ce problème kurde qui dépasse les frontières turques demeurerait toujours quand bien même Ankara accepterait de donner aux Kurdes de Turquie une place pour leur identité dans la nation turque. Mais si Ankara faisait ce pas, je pense que le problème serait néanmoins en grande partie résolu, car la Turquie abrite au moins 12 millions de Kurdes, c’est-à-dire le groupe kurde le plus important du Moyen-Orient. Plus de la moitié de cette population vivant dispersée dans tout le pays et pas seulement dans le Sud, la meilleure solution, à mon avis, est celle d’une reconnaissance de l’identité kurde et de son droit de cité en Turquie. Une telle solution améliorerait les relations entre le Nord de l’Irak et la Turquie et faciliterait peut-être ensuite une résolution internationale.