L'Iran et la Turquie s'attaquent aux Kurdes irakiens

Info
Courrier international - 5 mai 2006 

Le Kurdistan irakien est régulièrement victime d'incursions militaires iraniennes et turques à la poursuite de militants kurdes. Téhéran et Ankara accusent les groupes séparatistes kurdes d'utiliser l'Irak comme base arrière à des actions terroristes dans leurs pays.

Info
L'histoire de la région vue par les Kurdes. DR

La région autonome kurde d'Irak est soumise à une pression militaire des deux côtés de sa frontière. Appuyés par des tanks et des hélicoptères, 200 000 soldats turcs sont postés à la frontière turco-irakienne. La semaine dernière, les troupes turques ont pénétré de 15 kilomètres en territoire irakien alors qu'elles poursuivaient des rebelles du parti séparatiste kurde, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les positions du PKK ont également été attaquées dimanche 30 avril et lundi 1er mai par les forces iraniennes, qui ont fait une incursion de 5 kilomètres de l'autre côté de leur frontière avec l'Irak. Des bombardements ont visé plusieurs villages kurdes, obligeant plus de 200 familles à fuir leur foyer.

Le statut dont bénéficie le Kurdistan irakien fait craindre aux pays voisins • Iran et Turquie, qui abritent tous deux une importante population kurde • une contagion séparatiste. Le webzine Kurdish Media souligne que les Kurdes redoutent une invasion de la région autonome kurde d'Irak à l'ouest par les forces turques et à l'est par les forces iraniennes. Mais, pour l'instant, les actions turques se sont rien de plus que du "bluff", rassure le site d"informations. Kurdish Media estime que "les troupes turques se trouvent bien trop loin des centres de pouvoir kurdes, comme Souleimanieh ou Kirkouk. De plus, tant que les troupes américaines se trouvent en Irak, ils ne permettront pas à la Turquie d'envahir une partie du pays."

De son côté, Washington a appelé, par la voix du porte-parole du département d'Etat américain Sean McCormack, "tous les voisins de l'Irak à respecter sa souveraineté et à coopérer avec le gouvernement irakien sur tous les problèmes liés aux frontières". Le quotidien turc Zaman rapporte ces propos, mais en limitant les déclarations américaines aux seuls Iraniens, sans faire référence à l'incursion turque.

Les autorités irakiennes, pour leur part, hésitent sur l'attitude à adopter. Le Parlement irakien, issu des législatives du 15 décembre 2005, a tenu mercredi 3 mai sa première séance de travail sous la direction de son nouveau président, Mahmoud Machhadani, rapporte le quotidien irakien Az-Zaman, qui consacre sa une à cette réunion et titre sur "l'échec des efforts pour condamner l'Iran". Plusieurs députés ont dénoncé les agressions militaires et les incursions dans le nord de l'Irak. "La veille, le ministère de la Défense irakien avait annoncé que les forces iraniennes violaient la souveraineté de l'Irak deux fois par semaine. Dimanche 30 avril, ce même ministère avait fait état d'une incursion iranienne dans le nord irakien et de bombardements à l'artillerie lourde", précise le journal.

Ainsi, le député kurde Hussein Al-Barzangi, membre de l'Alliance du Kurdistan, a réclamé un communiqué condamnant "les bombardements iraniens de villages kurdes". Alors qu'un autre député, Hamid Majid Moussi, issu de la Liste irakienne (coalition regroupant six formations laïques sous la direction de l'ancien premier ministre Iyad Allaoui) a souligné que "le silence est une marque de faiblesse", signale le quotidien irakien. Mais le président de l'Assemblée Machhadani "a clos le débat en déclarant que des informations supplémentaires sur cette affaire seraient demandées au ministre de la Défense, Saadoun Al-Dulaimi, ainsi qu'au ministre des Affaires étrangères Houchyar Zebari". Ce dernier, d'origine kurde, a estimé que "les agissements iraniens ne représentaient pas, pour le moment, une menace importante. Il a également affirmé que cette affaire doit être traitée par les voies diplomatiques", rapporte Az-Zaman.

L'Iran, via le porte-parole du gouvernement Gholamhossein Elham, a nié avoir attaqué les Kurdes. La version de la République islamique, relayée par le quotidien conservateur Kayhan, accuse des membres du PJAK (la branche iranienne du PKK) réfugiés en Irak, d'avoir tué plusieurs soldats iraniens. Depuis plusieurs mois, des affrontements ont régulièrement lieu entre la population kurde de l'ouest iranien et l'armée iranienne.

L'attaque iranienne sert les ambitions des autorités militaires et politiques turques, qui semblent bien déterminées à "pourchasser, même au-delà des frontières, les milices kurdes du PKK, un parti hors la loi. Et le renforcement de la présence des troupes turques dans la région frontalière avec l'Irak est présenté comme indispensable à la sécurité du pays. Ce déploiement se déroule en fonction de la menace à laquelle il faut faire face", souligne le Turkish Daily News. De nombreux soulèvements ont agité ces derniers mois la région kurde (dans l'est du pays), et deux attentats ont visé Istanbul. Selon les autorités turques, 5 000 combattants armés du PKK se cachent au Kurdistan irakien.

Lors d'une conférence de presse tenue mercredi 3 mai, le général Bekir Kalyoncu, responsable des opérations militaires en cours sur la frontière turco-irakienne, a affirmé : "Si les éléments nécessitant une opération militaire au-delà de nos frontières se présentent, la Turquie exercera ses droits d'Etat souverain" en soulignant que, "pour le moment, les opérations militaires avaient lieu à l'intérieur du territoire turc", rapporte le quotidien turc. De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, durcissait le ton et lançait à l'adresse de l'Irak : "Vous ne devez pas abriter des terroristes. Tout un chacun doit assumer ses responsabilités. Personne ne doit autoriser de telles activités sur son territoire, et cela relève des obligations des autorités du pays concerné."

Le Turkish Daily News, prenant fait et cause pour le gouvernement turc, signale sur un ton sceptique que "le président irakien Jalal Talabani a exprimé son inquiétude quant aux déploiements sur les frontières irakiennes de forces tant turques qu'iraniennes. Apparemment, il aurait adressé à Ankara une note pour protester contre les incursions turques en territoire irakien."

De son côté, le PKK a menacé Ankara de représailles si l'armée turque pénétrait en Irak pour attaquer ses bases. Lors d'une conférence de presse, Mourad Karialan, un responsable du PKK, a déclaré : "Si les forces turques franchissent la frontière, la guerre s'étendra. L'Etat turc et le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan seront responsables du chaos qui en résultera, y compris en Turquie."

Hamdam Mostafavi et Hoda Saliby