BRUXELLES (Reuters) - L'Union européenne est parvenue lundi à présenter un front uni pour ralentir les négociations d'adhésion de la Turquie afin de sanctionner son refus d'ouvrir ses ports et aéroports aux Chypriotes grecs.
Les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Cinq sont parvenus à éviter une crise interne sur ce dossier qui les divisait profondément -- de Chypre, qui voulait une sanction, à la Grande-Bretagne, très compréhensive vis-à-vis d'Ankara.
Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, qui craignaient de voir leur sommet de jeudi et vendredi transformé en foire d'empoigne, peuvent donc respirer.
"Nous avons évité une crise turque au sommet", a déclaré la ministre autrichienne des Affaires étrangères, Ursula Plassnik, qui figurait parmi les "dures" sur l'échiquier européen.
Pour les partisans de la Turquie, qui craignaient de voir leur champion soumis à un traitement de choc au risque de braquer l'opinion publique turque contre l'UE à quelques mois des élections législatives de 2007, le processus se poursuit.
"Je suis désolée de vous décevoir: il n'y aura pas de collision ferroviaire", a déclaré lors d'une conférence de presse la secrétaire au Foreign Office, Margaret Beckett. "Le train est en fait toujours fermement sur ses rails."
Les Vingt-Cinq ont approuvé l'essentiel de la stratégie qui leur avait été proposée par la Commission européenne.
Tous sont d'accord pour dire que les pourparlers d'adhésion ne peuvent se poursuivre comme si de rien n'était, puisque l'UE avait donné à la Turquie jusqu'à fin 2006 pour se mettre en conformité, sous peine de "graves conséquences".
PAS D'ULTIMATUM
La négociation sera gelée sur huit des 35 chapitres de la négociation - les plus importants, puisqu'ils portent sur des dossiers comme l'agriculture ou la libre circulation des services - tant que la Turquie n'aura pas ouvert ses ports et aéroports aux navires et aux avions en provenance de Chypre.
Cette obligation est contenue dans le "protocole d'Ankara" qui a été approuvé par la Turquie afin d'étendre à la partie grecque de Chypre le bénéfice de l'union douanière.
Mais les Turcs subordonnent sa mise en oeuvre à la fin de l'isolement de la République turque de Chypre-Nord (RTCN), un Etat qui n'est reconnu que par Ankara, et à la reprise des pourparlers pour la réunification de l'île sous l'égide de l'Onu.
La négociation pourra s'ouvrir sur les chapitres qui ne sont pas "gelés", mais elle ne pourra être clôturée que lorsque le protocole d'Ankara aura été mis en oeuvre pour la Turquie.
Certains pays, dont Chypre et la Grèce, voulaient fixer une échéance pour la mise en oeuvre de ce protocole.
Mais la France et l'Allemagne, qui s'étaient montrés intéressés par cette idée, y ont renoncé et les Vingt-Cinq ont adopté une formulation qui n'a rien d'un ultimatum.
Chaque année d'ici à 2009 ou si un développement a lieu, la Commission européenne fera un rapport sur le respect par la Turquie de ses engagements et les Etats membres l'examineront.
"C'est un bon équilibre", a estimé la ministre déléguée aux Affaires européennes de la France, Catherine Colonna.
Les chefs de la diplomatie européenne ont également évoqué la question de l'isolement des Chypriotes turcs et le déblocage de l'aide qui leur est promise depuis 2004 mais qui est en partie bloquée par Nicosie, sans parvenir à un accord.
DEBLOCAGE EN 2007?
Mais le ministre allemand, Karl-Walter Steinmeier, a annoncé que Chypre s'était engagé à débloquer la situation en 2007, lorsque l'Allemagne assumera la présidence de l'Union.
"Cela a été la clé de la solution", a-t-il expliqué.
"Espérons que des progrès viennent rapidement", a souligné Colonna, une prudence confirmée par la délégation chypriote, où l'on ne confirmait pas une promesse ferme de déblocage.
Aucun pays n'a voulu pousser Ankara dans ses derniers retranchements avant les élections législatives de 2007 et même Chypre n'a réclamé l'arrêt des négociations prônée par le ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy.
"Personne ne veut rompre les discussions", a estimé le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy. "Mais quand on parle avec l'Union européenne, il y a des règles du jeu."
"Nous ne devons pas perdre de vue le fait qu'inclure la Turquie dans les valeurs européennes est un projet d'une importance extraordinaire", a dit Steinmeier. "Ce qui a été fait en autant d'années ne doit pas être détruit en quelques jours."
L'UE espère que les mois à venir seront prometteurs.
Le geste de la Turquie, qui a proposé la semaine dernière d'ouvrir un port et un aéroport aux navires et aux avions en provenance de Chypre, a été jugé positif mais insuffisant.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gul, a publié lundi dans le quotidien International Herald Tribune un article dans lequel il met l'UE en garde.
"Faire pression sur la Turquie pour qu'elle remplisse unilatéralement des conditions tout en ignorant d'autres obligations comporte le risque de faire dérailler tout le processus", écrit-il dans ce texte.
Les partisans de la Turquie rappellent que ce sont les Chypriotes grecs qui ont rejeté en 2004 le plan de paix de l'Onu alors qu'il avait été approuvé par les Chypriotes turcs, "protégés" depuis 1974 par quelque 30.000 soldats turcs.