Delphine MINOUI, Correspondante à Istanbul
Le Figaro | édition du 22/02/2018 | MINOUI Delphine
LA GUERRE syrienne a encore pris un nouveau tournant, ce mardi 20 février, lorsque des forces favorables au régime syrien sont entrées dans le district d’Afrine, sous les « tirs d’avertissement » de l’armée turque. L’objectif affiché par Damas était de venir en aide aux milices kurdes, sous le feu d’Ankara depuis le lancement, il y a un mois de l’opération « Rameau d’olivier ».
L’incursion turque vise à déloger de cette ville du Nord syrien les combattants des YPG, soutenus par les États-Unis dans leur lutte contre Daech, et considérés comme « terroristes » par la Turquie. La réponse d’Ankara ne s’est pas fait attendre. « Chaque mesure de soutien aux YPG signifie que ceux qui la prennent se mettent sur le même plan que l’organisation terroriste et deviennent pour nous une cible légitime », a prévenu, ce mercredi Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence turque.
Sept ans après le début du soulèvement anti-Assad et le basculement de la révolution de 2011 vers un conflit multidimensionnel, se dirige-t-on cette fois-ci vers un risque de confrontation entre Ankara et Damas ? « Le dossier est clos pour le moment », annonçait dès mardi soir le président Erdogan. Entre les deux pays, les relations sont au point mort depuis les premiers jours de la révolte anti-Assad.
La Turquie, qui partage plus de 900 kilomètres de frontière avec la Syrie a été l’un des premiers pays à se ranger du côté de l’opposition syrienne, en facilitant l’accès à son territoire des activistes et déserteurs de l’armée syrienne (à l’origine de la création, plus tard, de l’ASL, l’Armée syrienne libre). À ce jour, elle accueille quelque 3,5 millions de réfugiés syriens. Istanbul héberge également le siège de la Coalition nationale syrienne, la principale force d’opposition au régime de Damas.
Évoquant le principe de souveraineté territoriale, le pouvoir syrien n’a pas manqué de dénoncer les « ingérences » d’Ankara lors de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », lancée à l’été 2016 (en coopération avec les combattants de l’ASL), qui visait à « libérer le Nord syrien de l’emprise des djihadistes de Daech ». Un message réitéré par Damas dès le 18 janvier dernier à l’annonce, par Ankara, d’une opération militaire imminente contre Afrine.
«Nous avertissons les dirigeants turcs que s’ils lancent des opérations de combat dans la région d’Afrine, cela sera considéré comme un acte d’agression par l’armée turque », avait alors déclaré le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Meqdad, en précisant : « Les défenses aériennes syriennes ont recouvré toutes leurs forces et sont prêtes à détruire les cibles aériennes turques dans le ciel de Syrie. »
Si l’incident de mardi ajoute encore plus à la complexité de la guerre civile syrienne, on ne peut néanmoins pas parler d’une confrontation directe entre les deux pays. Les forces envoyées par Damas dans cette région semi-autonome kurde qui échappe au contrôle du pouvoir syrien depuis 2012 ne sont pas issues de l’armée officielle, mais font partie des forces de défense locales.
Autrement dit, il s’agirait, selon les chercheurs, de milices pro-iraniennes sous le contrôle Téhéran et proches du régime. Certains y voient une précaution de Damas, pour éviter d’envenimer encore plus ses relations avec Ankara. D’autres y voient, a contrario, le signe d’un conflit dont les commandes - tantôt tenues par Téhéran, tantôt par Moscou - échappent de plus en plus au pouvoir syrien.
Force est également de rappeler que dans le cadre des négociations d’Astana, parrainées par la Russie, l’Iran et la Turquie, Ankara maintient une forme de dialogue indirect avec le régime syrien (des représentants du gouvernement syrien, mais aussi de l’opposition, étant à chaque fois invités à ces pourparlers). Réitérant qu’il n’existe actuellement aucun « contact direct » entre Ankara et Damas, Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence a pour sa part évoqué, ce mercredi, l’existence de « contacts indirects » avec l’aide de la Russie et de l’Iran, alliés officiels du régime.
Avant de préciser, toutefois, qu’« en cas de circonstances exceptionnelles », les services de renseignement turcs pourraient entrer en contact « direct ou indirect » avec les services syriens.
« À ce stade, tout est encore possible », remarque un observateur qui préfère garder l’anonymat. Et d’évoquer la possibilité d’un « deal » ultime entre Ankara et Damas, voire entre Ankara et Moscou sur le sort d’Afrine.
« Sept ans après le début de la révolte anti-Assad, l’obsession de la Turquie consiste moins à renverser le régime syrien qu’à éviter la création d’une enclave kurde à sa porte, par crainte de renforcer le PKK, qu’elle considère comme le parrain des forces YPG. On pourrait donc imaginer, à terme, un accord turco-syrien selon lequel les forces pro-régime prennent le contrôle d’Afrine à condition qu’elles mettent un terme à l’administration de la région d’Afrine par les milices kurdes », estime-t-il.