23 mars 2007
Le cimetière pour enfants d'Ayazma est saturé, signe de la misère de ce quartier où tous les indicateurs sociaux sont au rouge. "Ce sont essentiellement des réfugiés du Sud-Est qui ont fui la guerre" (entre l'armée et la guérilla du Parti des travailleurs kurdes, PKK), raconte Bernard Granjon, responsable de la mission Turquie de Médecins du monde. Ayazma illustre cette "harlémisation d'Istanbul" pressentie par l'ex-chef de la police de la ville, Necdet Menzir, lundi 19 mars, dans les colonnes du journal Radikal : "Des gangs politiques et criminels créent des zones où la police ne peut plus venir." Les bus, non plus, ne vont plus à Ayazma. Mercredi, pour la fête de Nawrouz, ils ont été détournés des quartiers sensibles. En un mois, une douzaine de bus ont été attaqués aux cocktails Molotov.
Peu à peu, Ayazma se vide. Ceux qui étaient locataires iront reconstruire plus loin. Les propriétaires se sont résolus à être relogés. Masallah emménage dans la tour B8. "Ils nous dispersés comme des moutons, râle le vieux paysan. Bien sûr, ici c'est plus luxueux, mais c'est comme une prison, ce n'est pas ma façon de vivre." A Ayazma, les villageois avaient amené leur mode de vie. Les poules ont été victimes de la grippe aviaire, mais vaches et chèvres paissent au milieu du bidonville. "Je suis triste pour mes arbres fruitiers, dit Masallah. Ils étaient comme mes enfants."
"DES MILLIERS D'ÖCALAN"
Les ex-propriétaires du bidonville sont installés dans trois des 52 tours d'un ensemble urbain flambant neuf où on leur demande de payer pendant 15 ans, l'équivalent de 135 euros par mois de mensualités. Un tarif préférentiel en compensation de leur expulsion. "On ne sait pas comment on va payer", s'inquiète Ogün, père de cinq enfants et ouvrier textile. La mairie va dispenser des cours à ces déracinés, pour leur apprendre à vivre en milieu urbain.
Mais la surpopulation est déjà ingérable. Après quelques semaines, les salles de bain fuient, les enfants démontent les ampoules des cages d'escalier, arrachent les fleurs des plates-bandes pour les revendre. "Ils utilisent l'ascenseur comme toilettes, rigole Kezban au 11e étage de la tour B9, en préparant le déjeuner sur la moquette du salon. Moi, je jette mes ordures par la fenêtre. On est de vrais paysans !"
La violence sociale se mêle à des revendications identitaires."Tous les jeunes sont au chômage, tempête le vieux Muzafer. Pour l'Etat, on est moins que des chiens". "Si je dis que je suis kurde, je ne trouverai pas de travail", se persuade un gamin. A Ayazma, on a brûlé quelques pneus et peint des slogans sur les murs. Dans d'autres quartiers, la réaction plus vive des habitants a fait reculer les bulldozers. Une révolte qui prend un tour de plus en plus radical sous la forme de manifestations de soutien au PKK et à son leader emprisonné Abdullah Öcalan. "Il y a ici des milliers d'autres Öcalan", clame Masallah.