Par Christophe BOLTANSKI - mercredi 24 août 2005
Un projet a été présenté au Parlement, mais, incomplet, il n'a pas été soumis au vote.es responsables politiques irakiens ont accouché au forceps d'un bébé inachevé, à la santé fragile et déjà renié par une partie des siens. Un projet de Constitution a bien été présenté devant le Parlement dans les temps impartis, lundi en fin de soirée, dix minutes avant le terme. Mais, incomplet, il n'a pas été soumis au vote des députés. Cela n'a pas empêché le Premier ministre, Ibrahim al-Jaafari, de saluer hier «un pas important». Selon lui, seuls 2 articles sur un total de 153 n'ont pas encore été finalisés. D'après d'autres sources, plusieurs questions clés, comme le fédéralisme, le sort du Baas, le parti du dictateur déchu Saddam Hussein ou les pouvoirs respectifs du chef de l'Etat, du Premier ministre et du président de l'Assemblée, doivent être encore peaufinés. Les élus se sont donné trois jours de plus pour parachever leurs travaux et surtout vaincre l'opposition des dirigeants sunnites.
Compromis. Le délai paraît bien trop court pour permettre de rallier ces derniers à un texte qui, disent-ils, porte en germe l'éclatement de l'Irak. Cette communauté, qui, par peur ou par défiance, avait massivement boycotté les élections, sort grande perdante de ce long et laborieux processus. Le projet de Constitution tourne le dos à son souhait d'un Etat fort et centralisé. Fruit d'un compromis entre séparatistes kurdes et religieux chiites, les deux blocs majoritaires dans l'Assemblée, il instaure un régime parlementaire, fédéral et islamique. Tout en interdisant la promulgation d'une loi contraire aux «principes démocratiques», il fait de la charia la «source principale de la législation». Alors que les sunnites étaient hostiles à toute formule d'autonomie, il accorde de très larges prérogatives aux régions qui peuvent, si elles le souhaitent, ouvrir des ambassades à l'étranger, s'agréger les unes aux autres, disposer d'un Parlement et d'un gouvernement, et recevoir une part des recettes pétrolières proportionnelle à leur nombre d'habitants. Sur le papier, rien n'exclut la création au sud d'une province chiite autonome, qui ferait le pendant du Kurdistan.
Le texte, une fois terminé, devra être approuvé par référendum à la mi-octobre. Déjà, des leaders sunnites appellent à voter non et brandissent le spectre d'une «guerre civile» si le oui l'emportait. «Si ça passe, il y aura un soulèvement dans les rues», a prévenu leur négociateur, Saleh al-Mutlak. Ils ne désespèrent pas d'exercer un droit de veto. La Constitution sera en effet rejetée automatiquement si au moins trois des dix-huit provinces qui composent l'Irak la repoussent à la majorité des deux tiers des votants. Des manifestations ont déjà éclaté à Takrit, la ville de Saddam.
Les sunnites ne sont pas le seul groupe à être mécontent. De nombreuses femmes s'inquiètent de la place accordée au droit islamique. Petite consolation, elles conservent leur quota de 25 % minimum d'élues au sein du Parlement.
«Théocratie». La Maison Blanche, qui a bien besoin de bonnes nouvelles en Irak, a salué «un autre pas en avant». Même si le texte est achevé d'ici jeudi, il ne devrait pas permettre de réduire la violence sur le terrain, ni de mettre un terme à la polémique qui ne cesse de monter aux Etats-Unis. Dans son éditorial, le New York Times juge ainsi très sévèrement une charte qui, selon le quotidien, va instaurer en Irak «une théocratie sur le modèle iranien».
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