Par Marc SEMO-Erbil envoyé spécial - [lundi 17 octobre 2005]
Au bureau de vote du lycée de filles d'Erbil, les résultats sont sans appel avec 2 775 oui et 42 non. Les résultats sont peu ou prou similaires dans les autres bureaux électoraux de la capitale et des différentes villes du Kurdistan irakien. «Les gens savent que la nouvelle Constitution garantit les droits des Kurdes», assure une responsable locale.Toute la machine administrative et sécuritaire du gouvernement régional kurde s'est mobilisée pour le référendum. Pendant une journée, les gosses ont été les rois des rues, jouant au football dans les avenues vides. Comme dans le reste du pays, une interdiction générale de circuler en voiture a été instaurée pour vingt-quatre heures. C'est donc à pied que les électeurs sont allés faire leur devoir civique. A l'entrée des bureaux de vote, les hommes et les femmes forment deux files différentes pour une ultime fouille au corps. Si le triomphe du oui était attendu dans le pays kurde, la participation relativement faible, oscillant entre 65 % et 70 %, constitue en revanche un phénomène politique significatif.
«Situation de fait». «Les votants ont été sensiblement moins nombreux que lors des élections de janvier, car beaucoup d'électeurs ne voyaient pas les enjeux d'un texte qui donne un cadre légal à une situation de fait et qui ne change rien à leur vie quotidienne», reconnaît Fuad Hussein, chef de cabinet de Massoud Barzani, le président de la région kurde. Celle-ci bénéficie d'une quasi-indépendance depuis 1991.
S'abstenir était une façon de dire non. «Je n'ai pas participé au scrutin parce que je n'en ai rien à faire d'une Constitution pour l'Irak», soupire Rebin Ismael, intellectuel d'opposition et animateur de l'ONG civique Ask. «Tous les jeunes rêvent d'indépendance et cette Constitution ne représente rien de nouveau par rapport à cet espoir», renchérit Ferhad Pirbal, professeur et écrivain.
C'est dans la génération qui a grandi après 1991 - dans un Kurdistan libéré de facto de la tutelle de Bagdad - que les abstentions ont été les plus nombreuses. «Ils sont beaucoup plus nationalistes que leurs aînés. Ils regardent vers l'Europe et les Etats-Unis. Pour eux, tout ce qui évoque un quelconque lien avec Bagdad, même formel, a un effet repoussoir», reconnaît Fuad Hussein.
L'abstention traduit aussi le ras-le-bol de l'opinion dans certaines zones populaires. Dans le quartier de Koran («aveugle», en kurde), de sordides maisons basses s'entassent au milieu de terrains vagues couverts d'immondices. Là, à la mi-journée, il n'y avait eu qu'une poignée de votants.
Raffinerie. «Et pourquoi irions-nous voter ? Il n'y a plus d'essence, sinon au prix fort, depuis des semaines et à peine deux heures d'électricité par jour», se justifie Tawna, qui tient un petit kiosque. Une grogne que partagent nombre des habitants de la ruelle. «Avant les élections de janvier, les politiques nous avaient tout promis, mais rien n'est venu», martèle un voisin. Ils rêvent moins de l'indépendance que d'une raffinerie pour avoir de l'essence. «On en parle depuis deux ans, râle Tawna. Il suffirait de la construire pour qu'on n'ait plus besoin d'envoyer le pétrole dans les raffineries turques. Car, au retour, les camions-citernes attendent des jours et des jours à la frontière.»
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