[RFI - 6 septembre 2005] Le président Talabani est en colère et il le fait savoir. Lundi, Jalal Talabani (qui est kurde) a vivement reproché aux États arabes leur indifférence à l’égard des victimes de la bousculade meurtrière du pont d’Al Aïmah qui s’est produite à Bagdad le 31 août, lors d’un pèlerinage chiite et qui avait fait un millier de victimes. En dehors du Koweït, qui a offert 10 millions de dollars aux victimes, les autres pays arabes n’ont rien proposé, ou des montants dérisoires.
Le chef de l’État, qui s’exprimait devant des journalistes, a déclaré : « l’Irak ne va pas mourir de faim du fait de l’absence d’aide des pays arabes ». Il a également critiqué le refus de ces pays d’envoyer des représentants diplomatiques à Bagdad, avant d’enfoncer le clou : «cela contredit l’intérêt qu’ils prétendent avoir pour l’arabité de l’Irak».
Un article du projet de constitution actuellement proposée a en effet provoqué une polémique dans le monde arabe : la nouvelle loi fondamentale s’abstient d’énoncer que l’Irak est un pays arabe, se contentant d’indiquer que les Arabes irakiens appartiennent à la nation arabe. La meilleure défense, c’est l’attaque On ne manquera pas de noter que la diatribe de Jalal Talabani intervient à la veille d’une rencontre des ministres des Affaires étrangères des six monarchies pétrolières du Conseil de coopération du Golfe qui se préparaient à demander officiellement des explications au gouvernement irakien sur l’absence de référence à l’arabité de l’Irak dans le projet de constitution.
La meilleure défense étant l’attaque, c’est ainsi qu’il faut comprendre la charge du président irakien. Le message qu’il veut faire passer à ses compatriotes est que les États arabes, si vétilleux pour dénoncer les manquements à la solidarité arabe du nouvel Irak, s’exonèrent facilement de cette même solidarité : rien –ou si peu– pour leurs frères arabes (chiites, il est vrai) morts dans la bousculade ; pas de diplomates accrédités à Bagdad, l’ancien phare du nationalisme arabe sous Saddam Hussein.
Jalal Talabani, un Kurde, est lui-même le premier non-Arabe de l’ère moderne à diriger l’Irak. Mais si certains ont cru voir dans la désignation d’un Kurde à la tête du pays les prémices d’un démantèlement de l’entité irakienne, on peut faire la lecture exactement inverse : c’est en Irakien, et non seulement en Kurde, que Talabani est désormais contraint de raisonner, du fait même de sa fonction. En revanche, et le message ici délivré est très clair, il ne se laissera pas imposer par les anciens partenaires de Saddam Hussein une « arabité » qui, pour les Kurdes et les chiites, a longtemps été le manteau servant à habiller la domination des tribus sunnites.
A Kaboul, Hélène Da Costa et Olivier Da Lage