A Erbil, au Kurdistan irakien, après des tirs de roquettes le 15 février 2021.
SAFIN HAMED / AFP
Lemonde.fr | Par Hélène Sallon
L’attaque contre la base d’Erbil lundi a fait un mort et neuf blessés. C’est la première entaille sérieuse à la trêve décrétée en octobre 2020.
C’est le premier message adressé par les milices chiites irakiennes et leur parrain iranien à la nouvelle administration américaine. Lundi 15 février, dans la soirée, une salve de roquettes a visé une base aérienne où sont stationnées des troupes américaines près de l’aéroport d’Erbil, au Kurdistan irakien. Un employé civil a été tué et huit autres blessés, ainsi qu’un soldat américain, a annoncé la coalition internationale de lutte contre l’organisation Etat islamique (EI). Des roquettes se sont également abattues dans des zones résidentielles alentours, faisant au moins cinq blessés, selon les autorités de la région autonome kurde.
L’attaque, revendiquée par une milice peu connue du nom de Awliyaa Al-Dam (« les Gardiens du sang »), a été immédiatement condamnée par les autorités d’Erbil et de Bagdad, ainsi que par Washington. « J’ai contacté le premier ministre du gouvernement régional kurde, Masrour Barzani, pour parler de l’incident et je l’ai assuré de tout notre soutien pour enquêter et demander des comptes aux responsables », a déclaré le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. Un officier américain a indiqué à l’Agence France-Presse que les projectiles avaient été tirés à une distance de huit kilomètres à l’ouest d’Erbil.
Cette attaque est la plus sévère entaille à la trêve décrétée en octobre 2020 par les milices chiites pro-Téhéran dans leur harcèlement des intérêts américains en Irak. Si les attaques visant Erbil ont été rares – celle de lundi est la troisième en un an –, les milices chiites pro-iraniennes ont mené depuis l’automne 2019 des dizaines d’attaques contre des installations militaires et diplomatiques américaines, ainsi que contre des convois militaires. Elles se sont ainsi exposées à des représailles de Washington, dont la plus cinglante a été l’assassinat dans une frappe de drone américaine à Bagdad, le 3 janvier 2020, du général iranien Ghassem Soleimani et de son lieutenant en Irak, Abou Mahdi Al-Mohandes.
Après cet assassinat et le vote au Parlement de Bagdad d’une résolution non contraignante demandant le départ des troupes américaines – et étrangères – d’Irak, le rythme des attaques s’est multiplié. Revendiquées par une myriade de milices chiites peu connues, elles sont imputées aux formations les plus loyales à Téhéran, à l’instar des Brigades du Hezbollah (« Kataeb Hezbollah ») ou de la Ligue des vertueux (« Asaib Ahl Al-Haq »).
Prise en étau
Invoquant la baisse de la menace posée par l’EI en Irak, l’administration de Donald Trump a amorcé un retrait partiel de ses troupes. Les soldats américains et de la coalition anti-EI ont évacué une dizaine de bases en Irak, tandis que les effectifs américains ont été réduits de plus de moitié, à 2 500 hommes. La quasi-totalité est stationnée dans le complexe militaire proche de l’aéroport d’Erbil, qui sert aussi de base arrière pour les opérations dans le Nord-Est syrien.
Les milices chiites pro-iraniennes s’étaient résolues à décréter un cessez-le-feu, en octobre 2020, face à la menace de Washington d’évacuer son ambassade à Bagdad si les attaques ne cessaient pas. Cette évacuation aurait pu, aux yeux des observateurs, être le prélude à une campagne de ciblage des milices chiites et au rétablissement de sanctions contre Bagdad. Au Monde, en décembre, plusieurs responsables de milices chiites pro-Téhéran ont affirmé vouloir respecter cette trêve jusqu’au départ de Donald Trump, puis le temps que le nouveau président Joe Biden définisse ses orientations sur la présence militaire en Irak. Près d’un mois après l’installation de la nouvelle administration, le 20 janvier, le président Biden n’a pas encore dévoilé ses intentions sur le dossier irakien.
Or, l’Irak est pris dans l’étau de tensions régionales accrues. L’esquisse de négociations entre les Etats-Unis et l’Iran, d’une part, pour un retour dans l’accord sur le nucléaire iranien donne lieu à des pressions des alliés de Washington – dont Israël et le Golfe – pour y inclure les questions des missiles balistiques et de l’expansionnisme iranien dans la région. D’autre part, la menace d’une offensive élargie des forces turques dans le nord de l’Irak pour déloger les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de leurs bases arrière s’intensifie. Les milices chiites pro-iraniennes, qui sont alliées au PKK, annoncent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux l’envoi de renforts dans les monts Sinjar pour contrer une éventuelle offensive turque.