Les victimes : Fidan Dogan, Sakine Cansiz et Leyla Saylemez
Les victimes sont Fidan Dogan, présidente du centre d'information kurde, Sakine Cansiz, présentée comme "une des fondatrices du PKK", et Leyla Saylemez, une "jeune activiste". | AP
Lemonde.fr | Par Guillaume Perrier
Un an après le triple assassinat de la gare du Nord à Paris, dans lequel Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, trois militantes kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) ont été froidement exécutées, de nouvelles révélations pourraient totalement relancer une enquête qui semblait piétiner.
L'enregistrement sonore d'une conversation qui établirait le lien entre ces crimes et les services turcs de renseignement (le MIT) a ainsi été diffusé sur YouTube avant d'être repris par plusieurs sites turcs et kurdes, comme celui du journal Radikal (gauche). La discussion, antérieure à l'assassinat, se déroule entre un homme, qui serait Ömer Güney, le tueur présumé actuellement en détention, et deux responsables des services turcs. Y sont évoquées les cibles potentielles du tueur, plusieurs hauts dirigeants européens de la guérilla kurde, ainsi que la manière de les approcher et différents détails sur la mission de Güney.
La bande aurait été communiquée par un proche du principal suspect. Si le document était authentifié, ces révélations viendraient confirmer la piste jusqu'alors la plus plausible pour expliquer ce triple homicide en plein Paris : celle d'un crime d'Etat impliquant l'Etat turc.
La teneur de la conversation, qui met en évidence un rapport de hiérarchie entre Güney et les deux autres personnages, ainsi que l'évocation de détails opérationnels, notamment des armes et du téléphone portable crypté livré par ses interlocuteurs, laissent peu de doutes sur les intentions. « Après avoir écouté cet enregistrement, nous pouvons affirmer avec certitude qu'il s'agit bien de la voix d'Ömer Güney », a réagi, lundi, la Fédération des associations kurdes de France (Feyka), proche du PKK. « Parallèlement à sa publication, cet enregistrement nous a également été envoyé par mail. Nous avons transmis l'adresse e-mail de l'expéditeur, ainsi que toutes les autres informations en notre possession aux autorités chargées de l'instruction de cette affaire. »
Les parties civiles ont réclamé des explications de la part de la justice française, comme de la part de la Turquie. Le ministre turc de la justice, Bekir Bozdag, a rejeté lundi tout lien entre cette affaire et le MIT, parlant de « campagne de dénigrement » contre les services turcs, dirigés par Hakan Fidan, un proche du premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
L'enregistrement confirmerait également que Sakine Cansiz, qu'il appelle « grande soeur », était la principale cible du tueur. Mais pas la seule. D'autres hauts responsables du PKK comme Nedim Seven, arrêté à plusieurs reprises ces dernières années en France, ou Remzi Kartal, ancien député et coprésident du Congrès populaire du Kurdistan (Kongra Gel), réfugié à Bruxelles, étaient également dans le viseur.
C'est déjà ce qu'avaient affirmés les responsables du PKK en janvier 2013, après le triple assassinat. M. Kartal avait expliqué au Monde que « des tueurs liés aux services secrets turcs circulaient en Europe » et qu'un complot « avait été déjoué en Allemagne et en Belgique ».
Ömer Güney, qui clame son innocence depuis un an, était parvenu à infiltrer l'association kurde de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), un paravent des activités du PKK en région parisienne. Il s'était rapproché de Sakine Cansiz, figure féminine de l'organisation, l'une de ses fondatrices, en 1978, avec Abdullah Öcalan et avait ainsi pu entrer dans les locaux de la rue Lafayette à Paris, le siège des activités politiques en France, sans éveiller les soupçons.
Arrêté quelques jours plus tard, il aurait été confondu par les enquêteurs grâce à des traces de poudre, provenant d'une arme, sur son sac. Sa personnalité mystérieuse a immédiatement soulevé de nombreuses interrogations. Originaire de Sivas, une région nationaliste de Turquie, sans lien avec la communauté kurde, il possédait plusieurs téléphones portables et a multiplié les allers et retours avec la Turquie dans l'année qui a précédé le meurtre.
La justice française a demandé un complément d'informations à Ankara, sans résultats. L'enregistrement sonore pourrait aussi apporter des éléments compromettants pour les services français. Interrogé par l'agent présumé du MIT, sur une possible surveillance par « les forces de sécurité françaises, de la police ou de la gendarmerie », Ömer Güney répond sans hésiter : « Oui, il y a une surveillance étroite. Les renseignements me suivent seconde par seconde. »