vendredi 26 août 2005 (Liberation - 06:00)
Le Premier ministre veut résoudre le problème kurde, au grand dam des militaires. Par Marc SEMO moins de deux mois de l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Union européenne, prévues pour le 3 octobre, la question kurde est au coeur d'une partie de bras de fer entre le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, issu du mouvement islamiste, et les militaires. «L'objectif des forces armées turques est d'amener l'organisation militaire séparatiste à se soumettre à la loi», a martelé hier le chef d'état-major, le général Hilmi Ozkok, rappelant à nouveau le refus de l'armée de toute concession aux rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui a annoncé le 20 août «une trêve unilatérale» d'un mois pour tester la bonne volonté du gouvernement. Considérée comme une organisation terroriste par Ankara comme par l'Union européenne et les Etats-Unis, le PKK avait relancé, depuis juin 2004, les actions armées suspendues cinq ans plus tôt après l'arrestation de leur leader Abdullah Öcalan. Le PKK exige une amnistie pour ses combattants et une libération de son chef charismatique, condamné à la prison à vie. Entre 1984 et 1999, la «sale guerre» avec les rebelles indépendantistes a fait près de 37 000 morts et 3 millions de déplacés.
Engagement européen. Alors que Bruxelles exige une accélération dans la mise en oeuvre des réformes, le Premier ministre turc a en effet décidé de se saisir du problème kurde pour démontrer la réalité de son engagement européen. Grand vainqueur des législatives en novembre 2002, Erdogan était jusque-là resté très prudent sur la question kurde, qu'il définissait comme «un faux problème», bien que les Kurdes représentent quelque 15 millions des 70 millions de citoyens turcs. Mais à la mi-août, lors d'une visite à Diyarbakir, la capitale du Sud-Est anatolien, peuplé en majorité de Kurdes, Erdogan a changé radicalement son discours. Promettant des réformes et des aides économiques, il a insisté sur le fait qu'il n'y aurait pas de retour en arrière et que le problème kurde devait se résoudre «avec plus de démocratie». C'était un défi ouvert à l'armée, qui réclame plus de moyens et un nouveau durcissement législatif pour affronter «les terroristes».
Le tournant avait été préparé par des réunions avec des intellectuels et des représentants de la société civile. Le Mouvement démocratique social, créé par les quatre ex-députés kurdes, dont Leyla Zana, libérés l'an dernier après dix ans d'emprisonnement pour leur soutien au PKK, a ainsi aussitôt salué «les propos courageux» du Premier ministre et appelé le PKK à un cessez-le-feu «de durée indéterminée», car «il est impossible de discuter du problème kurde sans la création d'un climat épuré de la violence».
Nationalisme croissant. Cette ouverture pour l'ébauche d'une solution politique paraît néanmoins bien fragile, d'autant que le gouvernement doit aussi faire face à un nationalisme croissant de l'opinion et à l'opposition déterminée de la gauche, qui dénonce les risques à terme pour l'unité de la République, créée sur le modèle jacobin par Mustafa Kemal après la Première Guerre mondiale.