Le docteur Mohammad Fares montre une pharmacie vide au centre de santé de Sarmada, fermé en raison de la suspension de l’aide américaine. Au nord de la ville d’Idlib, le 9 février 2025.
GHAITH ALSAYED / AP
Lemonde.fr | Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante)
L’assistance fournie par Washington a représenté un quart des financements internationaux en 2024. Sa suspension a entraîné l’arrêt de nombreux programmes, dans des domaines critiques comme la santé et l’alimentation, dans le nord-est et le nord-ouest du pays.
Après quatorze ans de guerre en Syrie, la chute du président Bachar Al-Assad, le 8 décembre 2024, a nourri l’espoir dans les cercles humanitaires d’un afflux d’aide internationale dans le pays en ruines, où 16,5 millions de personnes dépendent de ces livraisons pour leurs besoins quotidiens. Ils ont reçu, au contraire, un coup de massue avec l’annonce, le 20 janvier, par le président américain, Donald Trump, de la suspension des programmes d’aide au développement à l’étranger pendant quatre-vingt-dix jours.
« C’est catastrophique. Ça a décimé la réponse humanitaire », soupire une source intervenant dans le Nord-Est syrien. Dans cette région administrée par les forces kurdes, soutenues par la coalition internationale de lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) emmenée par les Etats-Unis, la part de l’aide américaine dans la réponse humanitaire est massive.
Sur l’ensemble de la Syrie, l’assistance fournie par l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) et les agences liées au département d’Etat américain a représenté environ un quart des donations au plan de réponse humanitaire en 2024. « Cela affecte tout le cycle économique de façon négative. Tout l’argent qui entre à l’intérieur des frontières a un effet domino. Or, il n’y a déjà plus d’argent en circulation. Et ce n’est pas que de l’argent, c’est aussi de l’expertise et tout un écosystème », déplore Yakzan Shishakly, directeur de l’ONG Maram Foundation.
Dans le Nord-Est syrien, des programmes ont été arrêtés net dans les domaines critiques comme la santé, la distribution d’eau, l’assistance alimentaire et le déminage. « Il y a 38 millions de mètres carrés pollués par les mines laissées par l’EI et la coalition. La majorité des ONG ont dû arrêter leurs programmes et licencier leurs employés, des gens qui ont été formés pendant des années. Seuls les bailleurs américains se positionnent sur ce secteur », dit une source humanitaire.
« On a peur que l’instabilité gagne les camps »
Or, les risques d’exposition aux mines augmentent avec les déplacements de population. Depuis le 8 décembre 2024, il y a 652 000 déplacés internes supplémentaires dans le pays, qui en comptait déjà 7 millions. En décembre 2024, au moins 116 enfants ont été tués ou blessés par des mines non explosées.
L’aide d’urgence assurant la survie des populations (« life-saving ») est, elle aussi, affectée, malgré les exemptions accordées par le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, le 28 janvier. Dans les dix camps du Nord-Est syrien, dont ceux d’Al-Hol et de Roj, qui accueillent des femmes et des enfants de djihadistes de l’EI, des services ont été arrêtés par manque de financement. Près de 200 000 personnes ne bénéficient plus d’aide alimentaire et 500 000 personnes n’ont pas d’eau.
La distribution de pain, un élément essentiel de l’alimentation, devait être suspendue vendredi. « On a peur que l’instabilité gagne les camps. Il y a une crainte pour la stabilité dans la région, dit une source humanitaire. On se sent démunis. On doit faire de la cohésion sociale, mais on crée de la haine. Cela affaiblit le rôle des autorités locales. »
Dans le Nord-Ouest syrien, l’hôpital de Bab Al-Hawa, géré par l’ONG américaine Sams, a dû suspendre ses activités, hors services d’urgences. Dans les camps de déplacés où des centaines de milliers de Syriens vivent sous perfusion de l’aide humanitaire, l’eau n’est plus distribuée que deux jours par semaine, exposant les déplacés à des risques de maladie liés à la santé publique.
« Personne ne répond au téléphone »
« Sur les 391 établissements de santé recensés dans la région d’Idlib et Alep-Nord, 167 sont menacés de fermeture imminente faute de financement à compter de fin mars, soit 45 % des centres, souligne Mego Terzian, médecin humanitaire et directeur général de l’ONG Mehad, qui gère une quarantaine de centres de santé en Syrie. Près de la moitié des 60 centres d’urgence obstétricale et néonatale risquent de fermer d’ici trois mois, mettant en péril la vie des mères enceintes et des nouveau-nés ».
Du jour au lendemain, ce sont plusieurs milliers d’employés locaux des ONG syriennes et internationales qui ont été licenciés, ainsi que des expatriés. L’une des ONG opérant dans le Nord-Est syrien a licencié 700 personnes. « Ce sont des gens qui ont été formés pendant des années, qui ont acquis de l’expérience », regrette une source humanitaire.
Le forum qui coordonnait le travail d’une centaine d’ONG actives dans le Nord-Est syrien, à la place des Nations unies qui n’étaient pas autorisées à y intervenir par le régime Al-Assad, a dû licencier 30 de ses 36 coordinateurs, dont le salaire était payé en partie ou totalement par le Bureau de l’aide humanitaire américaine.
« Ce sont tous les aspects de la coordination qui sont touchés, le forum est en train de s’effondrer », déplore une source humanitaire. L’agence des Nations unies pour les affaires humanitaires qui devait prendre le relais au terme d’une transition de six mois n’a pas achevé son redéploiement dans le Nord-Est syrien.
Les exemptions accordées sur l’aide d’urgence dite de « life-saving » sont très vagues. « Si, par exemple, l’aide alimentaire est exemptée, ce n’est pas le cas de l’assistance financière, qui est la méthode privilégiée par de nombreuses ONG pour aider les familles à se procurer des produits alimentaires. Nous n’arrivons pas à obtenir de réponse, personne ne répond au téléphone », dit une source humanitaire.
« Responsabilité sociale »
La plupart des financements des agences américaines ont, de toute manière, été coupés. « Les exemptions sont très vagues, alors que les ordres donnés par les agences américaines de cesser les activités sont très clairs », poursuit cette source. Les financements dus pour les activités réalisées au quatrième trimestre de l’année 2024 n’ont pas été versés. Les ONG, qui sont dans l’attente de remboursements, font face à des problèmes de liquidités.
L’impact des coupes américaines se fait aussi sentir au-delà des ONG qui en dépendent. « Cela représente environ la moitié de l’aide humanitaire dans le monde, donc, forcément, toutes les ONG qui en dépendaient se tournent désormais vers les mêmes financeurs que nous, publics ou privés », explique Michèle Colombet, porte-parole de l’ONG Mehad.
Or, les autres bailleurs internationaux pourront difficilement prendre le relais. « Personne ne va être en mesure d’égaliser les volumes de financements américains, d’autant que l’aide américaine fonctionne comme une sorte d’assurance. Si les Américains ne donnent pas d’argent, personne ne le fera à leur place », estime Yakzan Shishakly de l’ONG Fondation Maram, qui appelle les Etats-Unis à s’acquitter de leur « responsabilité sociale » envers le monde.
« Au vu du passé des nouveaux dirigeants syriens, la plupart des financeurs internationaux sont pour l’heure dans l’expectative et refusent de s’engager pour aider la Syrie », confirme Mme Colombet. La prochaine réunion de levée de fonds pour la Syrie doit se tenir à Bruxelles, courant mars. La conférence qui s’est tenue à Paris, jeudi 13 février, avait pour objectif, elle, d’adapter les modalités d’intervention des bailleurs à la nouvelle donne politique dans le pays.