Un convoi militaire turc, dimanche, à hauteur de Killis, se dirige vers la frontière syrienne. © STRINGER / REUTERS
Lefigaro.fr | Anne Andlauer | 22/01/2018
Ankara a lancé, dimanche, une offensive terrestre contre les Kurdes dans la région d’Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie.
ET
Lefigaro.fr | Isabelle Lasserre / 22/01/2018
SYRIE La Turquie a lancé samedi sa deuxième campagne militaire en Syrie, ouvrant un nouveau front dans la guerre qui mine ce pays depuis bientôt sept ans. Baptisée « Rameau d’olivier », l’offensive vise les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), partenaires des États-Unis dans la lutte contre Daech mais ennemis d’Ankara en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L’armée turque a pour mission de déloger ces combattants de leur bastion d’Afrin, l’un des trois « cantons » kurdes dans le Nord syrien, évacué en 2012 par le régime du président Bachar el-Assad.
Les F-16 turcs ont ouvert les hostilités en bombardant, pendant plus de trois heures samedi, une centaine de cibles dans les montagnes d’Afrin. Pas moins de 72 avions participaient aux raids, soit le nombre de soldats turcs morts au cours de la précédente offensive d’Ankara en Syrie, « Bouclier de l’Euphrate », menée contre Daech entre Azaz et Djarabulus, à l’est d’Afrin. Comme lors de cette opération, l’armée turque bénéficie de l’appui au sol de l’Armée syrienne libre. Ces rebelles opposés au régime de Damas ont entamé dimanche leur progression vers Afrin, soutenus par des membres des forces spéciales turques et par les tirs de chars entrés en territoire syrien.
« L’opération ne cible que les terroristes et leurs abris, positions, armes, véhicules et équipements », a indiqué l’état-major dans un communiqué, alors que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, promettait de mener bataille « jusqu’au dernier (membre du) PKK-YPG ». La progression de l’offensive dépendra de la résistance opposée par les 8 000 à 10 000 combattants kurdes d’Afrin - selon les estimations turques -, mais Ankara prévoit déjà une campagne longue et difficile. Elle se déroulera « en quatre phases », avec pour objectif d’établir une « zone sécurisée de 30 kilomètres » en territoire syrien, a annoncé dimanche le premier ministre, Binali Yildirim.
« Guerre urbaine »
« Les YPG vont sans doute chercher à entraîner la Turquie dans une guerre urbaine, sur un territoire qu’ils tiennent depuis longtemps et pour un type de combat qu’ils connaissent bien, estime Ahmet Kasim Han, professeur de relations internationales à l’université Kadir Has d’Istanbul. Il est probable que la Turquie souhaite de toute façon entrer dans le centre d’Afrin, car l’image serait symbolique. » Dimanche, la France a demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies sur les opérations en Syrie, notamment dans l’enclave kurde. « Que la France ou un autre pays porte ce sujet à l’ONU les placerait aux côtés du terrorisme », a réagi le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu.
« Tout soutien aux terroristes d’Afrin sera considéré comme une cible de cette opération », a martelé le premier ministre, Binali Yildirim, prévenant à mots couverts les partenaires des milices kurdes, dont les États-Unis. Moscou, qui entretenait jusqu’alors de bonnes relations avec les YPG, avait évacué des soldats et des membres de sa police militaire d’Afrin avant le début de l’offensive. Principal allié du régime syrien, et maître de facto de son espace aérien, la Russie a donné son feu vert aux projets militaires turcs « alors qu’elle n’avait aucun intérêt immédiat à le faire », observe Ahmet Kasim Han.
« J’en déduis que la Russie et la Turquie ont conclu un accord sur Idlib (province voisine d’Afrin où le régime syrien mène actuellement une offensive, aidé par Moscou, NDLR), mais surtout que la Russie tente un coup stratégique de long terme, poursuit le chercheur. Son objectif est d’aggraver durablement les relations déjà abîmées entre la Turquie et l’Occident, notamment les États-Unis. Afrin va lui servir à créer une cassure sérieuse au sein de l’alliance occidentale ».
________________________________
Lefigaro.fr | Isabelle Lasserre
À PEINE la guerre contre l’État islamique est-elle terminée en Irak et en Syrie qu’un nouveau front se rallume. Depuis le début du conflit au Levant, les puissances régionales se livrent une guerre d’influence sur le dos des populations syriennes, défendant avant tout leurs propres intérêts. L’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite luttent pour le leadership du Moyen-Orient. La Russie a utilisé le conflit pour redevenir une puissance qui compte sur la scène internationale. Et la Turquie veut avant tout limiter l’influence des Kurdes, pas seulement le PKK qu’elle combat sur son sol, mais aussi les YPG qui consolident leur poche dans le nord de la Syrie.
L’intervention terrestre lancée par l’armée turque dans l’enclave kurde d’Afrin risque de provoquer un embrasement du conflit. Elle risque aussi d’entraîner une mutation de la guerre syrienne. « Jusque-là, nous avions une guerre civile qui opposait le régime à l’opposition ainsi qu’une lutte plus générale contre Daech. Aujourd’hui, nous sommes peut-être en train d’assister à la transformation de ce conflit où les vieux antagonismes - Iran/Arabie saoudite, Hezbolah/Israël, Turquie/Kurdes - ressortent avec davantage de vigueur », commente un diplomate français. Tout dépendra selon lui de la durée et de l’objectif de l’engagement turc. « Soit la Turquie se limite à faire pression sur les Kurdes pour les empêcher de profiter de leur supériorité pour faire la jonction entre leurs forces dans la région. Soit elle veut aller plus loin et nettoyer entièrement la zone », poursuit-il. La France n’a pas attendu de connaître la réponse pour appeler Ankara à la retenue. Devant l’escalade militaire en Syrie, elle demande une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU.
Vote de sanctions contre Ankara
L’intervention turque bouleverse aussi les lignes diplomatiques. Elle menace directement l’alliance entre Washington et Ankara, deux alliés de l’Otan. La relation américano-turque traverse une crise sérieuse depuis plusieurs mois. L’Administration américaine n’a pas apprécié qu’Ankara achète à la Russie des missiles S400, un système de défense antiaérienne incompatible avec celui de l’Alliance atlantique. Des sénateurs envisagent même de voter des sanctions contre Ankara. Quant au président Erdogan, il a toujours vivement critiqué le soutien apporté par Washington aux Kurdes de Syrie. Ses menaces d’intervention militaires étaient jusque-là restées lettre morte. La décision des États-Unis de déployer au nord-est de la Syrie une force frontalière de 30 000 hommes, essentiellement des Kurdes, a mis fin à la retenue. Le président turc, qui s’est apparemment assuré du feu vert de la Russie, veut détruire ce qu’il assimile à une force terroriste.
L’alliance entre les deux partenaires de l’Otan, qui ont combattu ensemble contre l’URSS pendant la guerre froide, résistera-t-elle à cette nouvelle entaille ? Washington a toujours considéré qu’il valait mieux une Turquie rebelle à l’intérieur de l’Otan qu’une Turquie insurgée hors de l’Alliance. Mais on voit mal les États-Unis abandonner leurs alliés kurdes en Syrie. Ils ont été aux premières loges de la lutte contre Daech et la coalition a encore besoin d’eux pour stabiliser la région après la défaite des djihadistes.