La Turquie instrumentalise la question kurde


Jeudi 18 octobre 2007 | propos recueillis par Isabelle Tallec

Le parlement turc a donné son aval, mercredi, à d'éventuelles incursions contre les Kurdes dans le Nord de l'Irak. Quelles raisons sous-tendent le choix de cette option militaire? Le point de vue de Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris, lui-même originaire de Turquie.

Le parlement turc vient de donner son feu vert à des incursions militaires contre les Kurdes dans le Nord de l’Irak. Que pensez-vous de cette décision?

C’était une décision attendue, qui donne à la Turquie un moyen de pression sur les Etats-Unis et l’Irak. Mais cela ne résoudra pas le problème, car la question kurde en Turquie est éminemment politique. Il s’agit en réalité d’un alibi, d’une totale instrumentalisation de la question du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, ndlr] par les dirigeants turcs.

Quelle est la configuration actuelle du Kurdistan irakien? Représente-t-il un réel danger pour la Turquie?

Les Kurdes d’Irak ont réussi à créer un Etat fédéré à l’intérieur du pays, doté d’institutions autonomes, que le reste de la "nation" kurde – en Iran, en Turquie - leur envie et voit comme un phare, un modèle. Il ne faut pas oublier que les quelque 15 à 18 millions de Kurdes en Turquie sont privés de leurs droits les plus élémentaires, leur identité n’est pas reconnue. Les Kurdes d’Irak n’ont aucune intention belliqueuse, ils privilégient au contraire la coopération, le règlement pacifique de la question kurde dans la région. Et d’autre part, contrairement à ce qu’affirme Ankara, qui accuse les Kurdes irakiens de fournir des armes aux rebelles, le PKK n’a jamais manqué d’armement.

La décision d’intervenir militairement en Irak peut-elle être motivée par des raisons internes à la Turquie?

L’armée turque a toujours eu besoin d’un ennemi extérieur pour justifier sa taille et son rôle. Cet ennemi était autrefois le communisme, puis la Grèce avant que le processus d’adhésion à l’UE ne règle le problème. Aujourd’hui, ce sont les Kurdes. Or, la question du séparatisme kurde, qui provoque la panique dans les milieux nationalistes turcs, n’en est pas une, puisque les Kurdes de Turquie réclament une solution à l’intérieur du territoire turc. Il y a donc à la fois un enjeu de politique intérieure - le rôle de l’armée par rapport au pouvoir politique – et de politique extérieure : vis-à-vis des Etats-Unis d’une part, avec ce bras de fer qui les oppose à la Turquie au sujet du projet de résolution relatif à la reconnaissance du génocide arménien, et concernant l’Irak d’autre part, avec le référendum sur la ville de Kirkouk et le statut des Kurdes en Irak.