La reprise des raids turcs contre les combattants kurdes réfugiés dans le nord de l'Irak met à mal «les relations amicales des deux pays»
Souleimaniyah, Irak -- L'aviation turque a bombardé hier le nord de l'Irak, d'où opèrent des combattants kurdes, mettant de nouveau à exécution les menaces d'intervention de la Turquie chez son voisin pour y éliminer les sanctuaires rebelles. Sitôt annoncée, l'intervention a jeté un froid entre les deux pays.
Le vice-ministre irakien des Affaires étrangères, Mahmoud al-Hajj Humoud, a en effet convoqué l'ambassadeur de Turquie à Bagdad, jugeant que ce genre de raid risquait d'affecter «les relations amicales entre les deux pays». L'aviation turque a bombardé hier plusieurs villages du nord-est de l'Irak, d'où opèrent des combattants kurdes en lutte contre Ankara, pour éliminer les sanctuaires rebelles. «Cette attaque a détruit des hôpitaux, des écoles et des ponts. Nous demandons que les autorités turques cessent ce genre d'action contre des innocents», a déclaré dans un communiqué le vice-ministre irakien des Affaires étrangères.
Sept personnes, cinq combattants et deux civils, ont été tuées par ces frappes effectuées par des chasseurs bombardiers dans la région autonome du Kurdistan irakien (extrême nord-est), aux confins de la Turquie et de l'Iran, selon un bilan du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) publié sur son site Internet.
Les raids ont visé des villages dans le secteur du massif du Qandil, une zone boisée et très escarpée qui sert de repaire aux combattants du PKK, en lutte contre le pouvoir central d'Ankara, selon l'armée turque et les autorités kurdes. Selon un communiqué de l'armée turque, les raids aériens dans ce massif, mais aussi dans les régions de Zap, Hakurk et Avasin, ont commencé à 1h locale pour se terminer peu avant 4h15. L'armée a aussi procédé à des tirs d'artillerie.
Dans un discours retransmis à la télévision, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a estimé «réussie» cette opération et réaffirmé qu'Ankara était prêt à utiliser les moyens diplomatiques, économiques et militaires pour mettre en déroute les rebelles. «De telles opérations vont se poursuivre si nécessaire», a pour sa part prévenu le vice-Premier ministre turc Cemil Cicek.
L'Irak et les Etats-Unis ont déjà fait pression sur la Turquie pour qu'elle n'intervienne pas massivement au Kurdistan irakien, qui reste la région la plus calme d'Irak. «Nous appelons l'armée turque de faire la différence entre le PKK et les gens ordinaires. Nous ne voulons pas que le conflit entre les troupes turques et le PKK dégénère en conflit entre les forces turques et le peuple du Kurdistan», a prévenu Jamal Abdullah, porte-parole du gouvernement régional kurde en Irak.
Bénédiction américaine?
Ces raids auraient toutefois été effectués avec l'aide des Américains, qui ont «fourni des renseignements» et autorisé l'entrée dans l'espace aérien irakien, a affirmé le chef de l'état-major turc, Yasar Buyukanit.
«L'Amérique nous a ouvert l'espace aérien irakien, la nuit dernière. En nous ouvrant l'espace aérien irakien, l'Amérique a donné son aval à l'opération», a déclaré le général Yasar Buyukanit, dont les propos ont été rapportés par l'agence anatolienne de presse.
À Washington, un porte-parole du Pentagone n'a pas souhaité réagir à ces affirmations, soulignant toutefois que les États-Unis coopéraient avec la Turquie dans sa lutte contre le PKK en lui fournissant notamment des renseignements.
Plus tôt, la présidence de la région autonome kurde avait, elle, «fermement condamné» cette opération qui «viole la souveraineté irakienne».
Le 1er décembre, la Turquie avait mené une première opération limitée visant un groupe de combattants kurdes en territoire irakien. Ankara avait annoncé de «lourdes pertes» dans les rangs du PKK, qui avait démenti cette information.
Le PKK, considéré comme une organisation terroriste par Ankara, Washington et l'Union européenne, a utilisé dans un passé encore récent ses bases en Irak -- où sont cantonnés quelque 3500 combattants -- pour lancer des attaques en Turquie.
Ankara a menacé à plusieurs reprises d'intervenir directement en Irak, si Bagdad n'était pas en mesure d'empêcher les opérations du PKK à partir de cette zone sous le contrôle des autorités régionales kurdes.
Le PKK est une rébellion autonomiste en lutte contre le pouvoir central d'Ankara depuis 1984. Ces années de violences ont fait 37 000 morts.
Le 21 octobre, des rebelles venant du Kurdistan irakien avaient tué 12 soldats turcs lors d'une attaque près de la frontière, et le Parlement turc avait autorisé le gouvernement à mener une intervention militaire en Irak.
Cette perspective avait mobilisé la communauté internationale, notamment les États-Unis, alliés de la Turquie et grands soutiens du Kurdistan irakien, qui y voyaient un risque de déstabilisation de la seule région d'Irak relativement épargnée par la violence.