Les Vingt-Cinq avaient affirmé en septembre 2005, avant l'ouverture des pourparlers, que "la reconnaissance de tous les Etats membres est une composante nécessaire du processus d'adhésion". Ils n'avaient fixé aucun calendrier pour la reconnaissance de la République de Chypre par Ankara. En revanche, l'ouverture des ports et des aéroports devait avoir lieu avant la fin de 2006. La Turquie est donc sommée de respecter ses engagements sous peine de voir s'interrompre les négociations. Pour le commissaire européen chargé de l'élargissement, Olli Rehn, l'Union adresse ainsi à Ankara "un message très clair" avant d'envisager l'examen des autres chapitres. "Il n'y aura pas de progrès réel des négociations s'il n'y a pas de progrès réel de la situation politique en Turquie", a-t-il précisé.
"ILS NE VOUDRONT JAMAIS DE NOUS"
Sur place, les réformes exigées par le processus d'adhésion sont en sommeil depuis le début officiel des discussions, le 3 octobre, en raison, entre autres, du désenchantement à l'égard de l'UE, et de la France en particulier. "De toutes façons, ils ne voudront jamais de nous", entend-on de toutes parts. Les politiques électoralistes prennent désormais le pas sur l'élan des années précédentes. Un nouveau président turc doit en effet être élu au printemps 2007 par le Parlement, dominé aux deux tiers par l'AKP, le Parti de la justice et du développement - celui des islamistes devenus proeuropéens lors de leur arrivée au pouvoir en 2002. Les élections législatives viendront après, mais les médias parlent d'un scrutin anticipé et des moyens dont disposeraient, ou non, les Kémalistes, et notamment l'armée, pour empêcher l'AKP de placer un des siens à la présidence, jusque-là "bastion de la laïcité".
Dans ce climat tendu, les dirigeants de l'AKP qui négocient avec l'UE clament qu'ils n'ont pas renoncé à l'Europe ni ralenti le rythme des réformes. Sans convaincre - ni Bruxelles, ni les intellectuels turcs qui les avaient soutenus, ni désormais les marchés financiers. La Tüsiad en particulier, émanation des grands groupes industriels et financiers turcs, accuse le gouvernement, qui baisse dans les sondages, de céder aux sirènes populistes et nationalistes aux dépens des réformes de la justice, de la liberté d'expression et de l'environnement nécessaires aux investisseurs.
Les juges ont pratiquement cessé de condamner des intellectuels en vertu du fameux article 301 sur l'atteinte à la "turcitude" ou à l'armée, mais le seul maintien de cet article dans le code pénal fait régner un climat d'autocensure. Le blocage des réformes en Turquie tient aussi pour beaucoup à l'impasse sur le front kurde, où "l'alliance objective" du PKK et des faucons de l'armée, qui auraient tous deux besoin de la poursuite d'un climat de guerre, a réduit à néant les timides avancées, il y a un an encore, par le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan. Avec une popularité qui aurait chuté de 43 % en janvier à 30 % début juin, l'AKP, divisée, ne risque plus de prendre ce dossier central à bras-le-corps. Même si la première cause de son recul serait, selon les sondages, son échec à lutter contre le chômage.