6 mars 2006, (Rubrique International)
Marie-Michèle Martinet
Turquie La prudence reste de mise à Ankara sur le dossier irakien, la question kurde demeurant l'une des préoccupations essentielles des autorités turques.
LA RÉCENTE visite à Ankara du premier ministre irakien, Ibrahim al-Jaafari, a provoqué l'irritation du président irakien, Jalal Talabani. Après s'être déclaré «extrêmement surpris» par ce voyage. En réponse à cette rebuffade, Ankara s'est bien gardé de s'engager dans une escalade verbale jugée stérile, se contentant d'expliquer que cette affaire n'était que la conséquence du «manque de communication» régnant actuellement dans les structures de l'Etat irakien.
Au lendemain de l'attentat contre la mosquée d'Or de Samarra, Ankara a fermement condamné l'escalade de la violence sectaire en Irak. La Turquie, qui rassemble une population à 99% musulmane dont les trois quarts sont de confession sunnite, craint l'explosion d'une guerre civile à ses frontières. Pour cette raison, Ankara multiplie actuellement les contacts avec les différents acteurs de la scène politique irakienne : après la visite d'Ibrahim al-Jaafari, on annonce celle du leader chiite Moqtada al-Sadr.
Gros marchés en perspective
Le premier ministre turc a rappelé, la semaine dernière, les grandes lignes de la position d'Ankara à l'égard de l'Irak. Priorité numéro un : le respect de l'intégrité territoriale et des équilibres ethniques, considérés comme les seuls garants d'une paix durable et d'un redémarrage économique et social du pays. La Turquie aurait de gros marchés à prendre en Irak, notamment dans le domaine des transports et de l'énergie électrique : «Le développement du nord de l'Irak ne se fera pas sans les milieux d'affaires turcs qui sont déjà très présents sur le terrain», rappelle d'ailleurs un observateur européen. Mais, pour l'instant, la Turquie a lourdement payé le prix de cette présence : une centaine de chauffeurs de poids lourds ont perdu la vie dans les embuscades tendues sur les routes irakiennes.
Dans ces conditions, la Turquie n'a guère d'autre choix que d'oeuvrer pour la paix. Quitte à lâcher du lest sur la question kurde. Tous saluent désormais l'attitude «pragmatique» adoptée par Ankara. Parmi les nombreux contacts noués par l'envoyé spécial de la Turquie en Irak, Oguz Çelikkol, son entrevue avec le président de la région kurde, Massoud Barzani, n'est pas passée inaperçue. D'autant que le diplomate arrivait avec un message qualifié d'«historique» par la presse turque, Ankara se déclarant désormais disposé à reconnaître le gouvernement régional du Kurdistan inscrit dans la Constitution. Ce qui n'efface pas pour autant toutes les arrière-pensées : «Les Turcs veulent augmenter leur influence en Irak pour mieux brider la nôtre», estime un représentant du mouvement kurde irakien, qui considère cependant que la Turquie «est loin d'avoir autant de présence politique à Bagdad que la Jordanie ou la Syrie». Pour d'autres observateurs, «c'est avant tout l'Iran qui peut actuellement peser du plus grand poids». D'où l'intérêt d'une prochaine réunion des pays voisins de l'Irak, que le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a déjà appelée de ses voeux.