Recep Tayyip Erdogan
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INFOGRAPHIE
Vainqueur des législatives turques, l'AKP n'a toutefois pas atteint dimanche la majorité des deux tiers.
Lefigaro.fr | Par Alain Barluet
Une victoire incontestable mais pas totale: n'ayant obtenu dimanche «que» 49,9% des voix aux législatives, le Parti de la justice et du développement (AKP) du premier ministre Recep Tayyip Erdogan ne pourra mener seul sa grande réforme, la mise en place d'une nouvelle Constitution. L'AKP, parti d'inspiration islamiste, au pouvoir depuis 2002, contrôlera 326 sièges au Parlement (sur 550), alors qu'en franchissant le seuil de 330 sièges, il aurait pu entreprendre la réforme en la soumettant aux électeurs par référendum.
Aux législatives de 2007, l'AKP avait remporté 47% des suffrages et 341 sièges. L'objectif affiché par Erdogan durant la campagne, atteindre une majorité des deux tiers (soit 367 sièges), a été largement manqué. Il aurait permis au premier ministre de lancer, sans le soutien des autres partis, la réforme constitutionnelle qu'il ambitionne dans le sens d'une présidentialisation du régime, même s'il n'a pas donné de détail. Un écueil qui faisait dire, dès dimanche soir, à certains commentateurs turcs que le principal chantier politique de Recep Tayyip Erdogan était désormais caduc. Le chef du gouvernement trouve en effet face à lui le Parti républicain du peuple (CHP), principale formation d'opposition kémaliste (en progression de cinq points avec 26% des voix et 135 sièges) et aussi les ultranationalistes du MHP (13% des voix, en retrait d'un point, et 53 sièges). L'AKP a donc échoué à «siphonner» les voix de l'extrême droite nationaliste. Cette dernière a, en revanche, réussi à attirer certains électeurs bien décidés à faire barrage à l'ambition d'Erdogan à qui l'opposition prête des penchants autocratiques.
Recep Tayyip Erdogan retrouvera également sur sa route la question kurde, vieille antienne de la politique turque. En effet, le principal parti pro-kurde, le Parti de la paix et de la démocratie (BDP) est lui aussi sorti vainqueur des élections de dimanche en remportant 6,3% des votes et 36 sièges, contre 20 dans le Parlement sortant. Six militants de la cause kurde, incarcérés pour collusion avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit), en lutte armée contre les forces d'Ankara depuis 1984, ont aussi été élus. Parmi eux: Hatip Dicle, figure influente de la cause kurde, qui a passé dix ans en prison et qui disposait du soutien du BDP, et Leyla Zana, une autre figure importante de l'activisme kurde, emprisonnée elle aussi pendant dix ans.
Le BDP, dont le soutien pourrait être déterminant pour aller de l'avant vers une nouvelle Constitution, ne manquera pas de poser ses conditions à Ankara. Sa principale revendication concerne un statut d'autonomie pour les 12 à 15 millions de Kurdes (sur 73 millions d'habitants dans le pays). Alors qu'en 2007, l'espoir d'une main tendue aux Kurdes avait permis à l'AKP de faire une percée dans leurs bastions du sud-est, les promesses non tenues n'ont pas permis au parti majoritaire de réitérer l'exploit. La presse d'opposition doute de la volonté réelle de Recep Tayyip Erdogan de négocier avec ses opposants kurdes. La crise en Syrie voisine, où vit une minorité kurde (9% de la population), vient encore compliquer la donne. Ankara craint des répercussions transfrontalières, si Damas ne venait, en guise de représailles, à modifier sa politique kurde.