L’armée turque en Irak du nord, comme prévu


7 juin 2007 | correspondant à Istanbul  | Jérôme  Bastion

Faute de réponse à ses demandes répétées, auprès du gouvernement central irakien et des autorités américaines de mettre fin aux activités de la rébellion kurde du PKK en Irak du nord, la Turquie est passée à l’action pour se faire justice. Tous les signes du début d’une vaste opération militaire baptisée «Coup de massue» confirment ce qui était redouté, mais aussi annoncé de longue date.


L'armée turque fait une incursion en territoire kurde, dans le nord de l'Irak, en prévision, peut-être, d'une intervention plus massive. (Photo : AFP)

Mêmes maux, mêmes remèdes: comme en 1995, 4 ans après le début de l’opération «Tempête du désert» contre l’Irak, c’est aussi 4 ans après l’intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein que l’Armée turque, à bout de patience, choisit d’employer les grands moyens contre les sanctuaires du Parti des travailleurs du Kurdistan du côté irakien de la frontière. Si l’agence Associated Press a annoncé mercredi un peu prématurément le déploiement de «quelques milliers de soldats» en Irak du nord, l’héliportage dans 10 appareils militaires d’éclaireurs venus reconnaître la sécurité dans la région de Behdinan était cependant confirmé par le site électronique de l’Union patriotique du Kurdistan. La zone avait été préalablement bombardée par l’artillerie turque 48 heures auparavant, indiquait la même source. Cette petite intrusion ressemblait alors beaucoup à une mission de sécurisation du lieu dit Horki û Serferþi û Swilê, inhabité, avant d’envoyer la troupe.

Pendant ce temps, la visite du général Sükrü Sariisik, commandant de la seconde armée (sud-est) au cantonnement du lieu dit Üzümlü, au point «0» de la frontière près de Çukurca, sonnait comme le véritable coup d’envoi de l’opération «Balyoz» (Coup de massue). Cette ultime inspection de contingents stationnés ici, comme en d’autres points de passage de cette frontière montagneuse, avant l’assaut dont la menace était brandie depuis des semaines, trouvait d’ailleurs sa confirmation avec une note d’information des Forces armées turques, publiées sur le site officiel de l’état-major. Dans les deux provinces frontalières de l’Irak, Sirnak et Hakkari, ainsi que dans la province voisine de Siirt, qui permet d’organiser un soutien logistique direct, une vingtaine de délimitations géographiques précises ont été décrétées «zones de sécurité» et interdites à toute circulation pendant trois mois à compter de samedi prochain, 9 juin. Sans doute, la date où quelques dizaines de milliers de militaires turcs prendront véritablement pied sur le sol irakien, avec tous les blindés et l’artillerie acheminée dans la région depuis la fin mars.

Juste une incursion

«Il n’y a pas d’entrée (de l’Armée turque) dans un pays (voisin), juste des préparatifs», commentait en début de soirée le vice-Premier ministre, Abdullah Gül, comme une quasi-confirmation du doigt mis dans un engrenage irréversible. Jusqu’au bout, le gouvernement aura tenté de trouver une solution non militaire à la dégradation de la situation sécuritaire dans le sud-est du pays - et en Irak du nord, où sont stationnées régulièrement plusieurs bataillons en fonction d’accords signés il y a 10 ans – mais l’option diplomatique a fait long feu. «Nous ne nous opposerons pas à l’armée», précisait hier soir le Premier ministre Tayyip Erdogan, qui qualifiait de «chef de tribu», avec qui il n’entendait pas prendre langue, le leader kurde Massoud Barzani, alors qu’il y a quelques semaines encore «tous les interlocuteurs étaient fréquentables pour régler les questions de sécurité du pays». Un jugement sans appel qui fait écho aux propos du chef d’état-major, Yasar Bÿükanit lui-même, pour qui de l’autre côté de la frontière, «il y a le problème de l’organisation sépartatiste terroriste du PKK et celui de Barzani», soupçonné non seulement de fermer les yeux sur la présence des rebelles kurdes de Turquie mais aussi et surtout de l’aider dans sa guerre contre Ankara.

Il faut dire qu’il n’a pas manqué, cette seule dernière semaine, de bonnes raisons à l’armée turque pour estimer que «trop, c’est trop»: mercredi, au lendemain d’une violente attaque suicide contre un poste avancé de gendarmerie, tuant 7 militaires dans la région de Tunceli, l’explosion de mines anti-personnel blessait 12 soldats et tuait 2 gardiens de village. Cela une semaine après un attentat à la bombe dans le centre d’Ankara censé cibler personnellement le général Büyükanit et qui faisait 8 morts (dont le kamikaze).

Dans l’intervalle, deux incidents dans le nord de l’Irak contre la présence militaire turque, confirmaient les généraux turcs, qu’il fallait sévir également contre les «parrains» des rebelles kurdes: la mise en joue jeudi d’officiers de renseignement turcs dans la ville de Souleymaniye par les peshmergas kurdes (l’état-major promettant «la réponse la plus élevée»), puis la saisie mardi dans la même région d’un camion turc transportant des pièces d’hélicoptère étaient des indices suffisants de ce que la remise des pouvoirs de sécurité par l’armée américaine et aux milices kurdes ne profiterait en rien au bon voisinage. Le seul mécanisme de coopération entre la Turquie, les Etats-Unis et accessoirement l’Irak en matière de lutte anti-terroriste avait perdu, le 22 mai, son représentant turc, le général à la retraite Edip Baser. Il avait été limogé au moment où il annonçait sa démission faute de résultat. C’était le premier signal de ce qu’un verrou sautait : les généraux turcs n’avaient plus de compte à rendre à l’allié américain, plutôt vu comme un faux ami. Douze ans après la «Force du marteau», la région se prépare au «Coup de massue».