1er janvier 2007Par Gérard Chaliand, Géopolitologue, spécialiste des conflits, familier de l'Irak, auteur avec Sophie Mousset d'un Guide du voyageur autour du monde (Odile Jacob)
Le dictateur qui vient d'être exécuté de façon expéditive, après un procès tronqué, avait davantage de sang sur les mains et était moins médiocre que beaucoup d'autres à travers l'histoire contemporaine. Mégalomane comme la plupart, il avait eu ces débuts difficiles qui durcissent à la fois la volonté et la sensibilité, dans un pays qui, par rapport à d'autres de la région, passait à juste titre pour violent.
En 1975, Saddam Hussein avait renforcé son pouvoir. Non seulement était-il devenu le véritable chef du pays mais grâce aux capitaux de la nationalisation du pétrole et à la hausse des prix, il pouvait se targuer d'être un bâtisseur d'État. Habilement, il venait de consentir des concessions au Shah d'Iran. En échange d'une renonciation à la souveraineté sur la voie d'eau du Chatt al-Arab et à l'abandon de la revendication sur la province arabophone et pétrolière du Khouzistan iranien, il obtenait du Shah que celui-ci cesse tout aide logistique à l'insurrection kurde de Massoud Barzani qui durait depuis 1961. L'accord conclu, l'insurrection kurde s'effondrait. Saddam Hussein continuait avec succès de développer économiquement le pays tout en renforçant avec l'aide de la France, entre autres, ses capacités militaires en maintenant le pays sous sa poigne de fer. Il se voulait l'héritier de Babylone et de l'Assyrie et, depuis que l'Égypte de Sadate avait choisi la paix avec Israël (1978), comme le champion des Arabes.
Lorsque le Shah fut renversé par la révolution khomeiniste qui remettait en cause le statu quo régional et inquiétait l'Occident, Saddam Hussein crut son heure venue. Sous-estimant l'épaisseur culturelle et le poids démographique du vieil empire il imagina de rééditer la conquête arabe du VIIe siècle qui mit à genoux celui des Perses, sans oublier d'en appeler au sunnisme. À l'exception du rival baasiste syrien et d'Israël, soucieux du renforcement militaire d'un adversaire arabe, pratiquement tous les États, de l'Union soviétique à l'Occident, soutinrent l'effort de guerre irakien. La guerre fut sans merci, des gaz chimiques furent fournis et utilisés contre les Iraniens. L'un des objectifs des fournisseurs d'armes était que les deux adversaires s'épuisent.
Ce fut le cas après huit années. L'Irak terminait à peine territorialement vainqueur et financièrement ruiné. Les Kurdes d'Irak qui avaient été soutenus par l'Iran subissaient une terrible répression. Halabja était gazé sans grande protestation internationale. On s'en souviendra plus tard lorsque Saddam Hussein deviendra un adversaire. Les États du Golfe, dont le Koweït qui avait financièrement soutenu l'Irak, réclamaient un remboursement pressant. Saddam Hussein tenta de se refaire en annexant le Koweït. La perspective d'un État disposant d'un tel potentiel pétrolier était inacceptable pour les États-Unis. Tandis que l'URSS était en pleine déliquescence, ce fut la première guerre du Golfe menée avec l'appui des Nations unies. Quatre pays arabes majeurs participaient de la coalition : l'Arabie saoudite, la Syrie, la Jordanie et l'Égypte dont les dettes avaient été apurées par les États-Unis pour obtenir sa participation.
La victoire de la coalition fut aisée. Le régime ne fut pas abattu, des avis autorisés aux États-Unis comme du côté saoudien ayant mis en garde sur les conséquences de l'effondrement d'un régime fondé sur la suprématie des sunnites depuis le mandat britannique dans un pays où la majorité était chiite, donc non hostile à l'Iran. Kurdes et chiites que les États-Unis appelèrent alors à se révolter tandis qu'ils n'avaient pas l'intention de les soutenir, furent massacrés en masse par la garde républicaine de Saddam Hussein.
Puis ce fut l'embargo avec des conséquences dures pour la population plutôt que pour le régime. Les Kurdes, grâce aux images filmées par les télévisions occidentales reçurent par l'intercession de la France puis de l'Angleterre un soutien des alliés garantissant la sécurité de leur région. Les chiites furent bientôt protégés aussi dans le sud du pays. On connaît mieux la suite. Au lendemain immédiat du 11 septembre, Paul Wolfowitz, le plus en vue des néoconservateurs désignait l'Irak comme l'adversaire à abattre. L'occasion paraissait propice de mener une guerre de choix fondée sur le risque que l'Irak faisait courir à la sécurité de la région et à celle du monde ainsi qu'aux liens que ce pays pouvait avoir avec le terrorisme islamiste. La seconde guerre du Golfe eut lieu sans l'accord cette fois des Nations unies et malgré la réticence affichée de nombreux États. La chute du dictateur fut accueillie avec contentement par les chiites et les Kurdes, soit 80 % de la population irakienne qui n'avait cessé d'être dominée et réprimée. Mais la finalité politique du projet de l'administration de George W. Bush s'est révélée un échec. L'ancien dictateur a vécu assez longtemps pour voir que ceux qui le faisaient juger ne sortiraient pas victorieux d'une entreprise qui paraissait promise à un triomphe.
Pour l'Iran, Israël et George W. Bush comme pour les chiites et les Kurdes, l'exécution de Saddam Hussein est bienvenue. On ne doit cependant pas négliger que pour les sunnites, en Irak comme ailleurs, il est considéré comme celui qui a défié les États-Unis, cherché à renverser un statu quo et s'est voulu comme un champion de l'arabisme. Sa mort parachève le destin qu'il s'est choisi en voulant devenir un héros parmi les siens et un bourreau pour ses victimes.