Tanguy Berthemet (avec AFP, Reuter)
[16 janvier 2006]
LE PRÉSIDENT du tribunal chargé de juger Saddam Hussein a présenté sa démission. Le Kurde Rizkar Amine entend ainsi protester contre les critiques qui l'assaillent dans le milieu politique ou dans certains journaux. Le départ du magistrat serait un nouveau coup dur pour la crédibilité de cette cour déjà suspecte d'un manque d'indépendance vis-à-vis du gouvernement irakien.
Conscientes du risque, les autorités du Haut Tribunal pénal irakien tentent donc discrètement de faire revenir Rizkar Amine sur sa décision. Une délégation gouvernementale aurait récemment rencontré le juge. Mais ce dernier, qui a envoyé sa lettre de démission au gouvernement il y a plusieurs jours, refuserait de se laisser infléchir. Hier, le Haut Tribunal pénal s'est contenté de confirmer le départ de Rizkar Amine, tout en affirmant que ce choix était dicté par «des raisons personnelles». En fait, Rizkar Amine ne supportait plus les attaques et les pressions croissantes, notamment d'hommes politiques chiites, contre sa façon, jugée molle, de mener le procès de l'ancien dictateur irakien. Le ministre de la Justice, Abdel Hussein Chandal, avait lui-même vilipendé le «peu d'expérience» du magistrat.
Peu de chances d'un retour
Les reproches se sont accentués après les audiences des 21 et 22 décembre dernier. Saddam Hussein y avait pris la parole pour s'en prendre violemment à George Bush père et fils puis pour se livrer à un discours enfiévré contre les troupes d'occupation. Les tirades avaient été peu appréciées par le gouvernement et par les forces américains qui redoutent de voir les débats se transformer en une tribune pour le tyran déchu. De son côté, Rizkar Amine avait assuré qu'il voulait simplement mettre en place une justice «libre et juste», à l'opposé de celle de Saddam Hussein. Ce plaidoyer n'avait pas convaincu les chiites qui exigent une justice rapide. Lassé, le Kurde Rizkar Amine aurait donc décidé de partir. Selon des sources citées par l'agence Reuter, les chances de le voir revenir sont faibles.
Techniquement, le départ du président de la cour est sans conséquence. Il peut être remplacé par l'un de ses cinq suppléants. Mais l'image de Haut Tribunal pénal mis en place sous l'égide des Etats-Unis va en pâtir. L'assassinat de deux avocats de Saddam Hussein avait mis en lumière les difficultés de tenir des audiences sereines dans ce climat de fortes pressions politiques entre les communautés kurde, sunnite et chiite. Pour contourner la difficulté, les défenseurs des droits de l'homme et les avocats de Saddam Hussein avaient réclamé le transfert du dictateur et de ses sept coaccusés devant un tribunal international installé hors d'Irak. «L'équipe de défense a mis depuis longtemps en garde contre le danger des pressions politiques qui nuisent à l'indépendance et à l'intégrité du Haut Tribunal», a affirmé Khalil Dulaimi, l'un des avocats de Saddam, avant de saluer «la haute moralité» du juge Amine.