Le Kurdistan autonome fait l’unité contre lui


14 janvier 2008 | Par Monique Mas

Le gouvernement al-Maliki s’est vu promettre lundi le renfort du Front de la concorde, le principal parti parlementaire sunnite. Ses ministres avaient démissionné en août 2007 pour protester contre le retard du vote de la loi «de réconciliation» concernant les anciens membres du parti Baas, finalement adoptée samedi, et contre la perspective du rattachement de la ville de Kirkouk au Kurdistan autonome.

Dimanche avait déjà vu l’annonce inédite d’une plate-forme politique entérinée par des députés laïcs de la Liste commune irakienne de l’ex-Premier ministre Iyad Allaoui, des sunnites du Front national du dialogue de Salah al-Motlak mais aussi des chiites radicaux de l’imam Moqtada Sadr. Avec pour objectif affiché « l’intérêt national et l’unité de l’Irak », tous s’opposent aux revendications territoriales et pétrolières kurdes.

« Le Front est prêt à retourner au gouvernement », annonçait ce 14 janvier le chef du Front de la Concorde, le sunnite Tarek al-Hachémi, qui est aussi le vice-président de l’Irak présidé par le Kurde Jalal Talabani. Avec cette déclaration, les sunnites pourraient redonner figure pluriconfessionnelle au gouvernement vidé de cette composante après leur démission l’année dernière. Un nouveau cabinet « d’unité nationale » semble se profiler à l’horizon immédiat. La déclaration d’al-Hachémi succède à l’annonce de la plate-forme commune sunnites-chiites-laïcs.

Renfort sunnite pour al-Maliki

Lundi, le puissant chef sunnite Tarek al-Hachémi avait convoqué une conférence de presse commune avec un alter ego chiite d’importance, Abdelaziz Hakim, le chef du Conseil suprême islamique d’Irak qui soutient al-Maliki. Al-Hachémi se plaignant d’une « stagnation politique sans précédent », Hakim a prophétisé « des progrès dans les jours et les mois qui viennent ». Rien ne garantit qu’ils ne s’accompagneront pas d’une crise politique mettant en scène des alliances concurrentes.

Le renfort sunnite d’al-Hachémi est bienvenu pour le pouvoir chiite, fort à Bagdad, de l'aile du parti Dawa emmenée par Nouri el-Maliki et du Conseil suprême islamique d’Irak. Cela ne suffisait pas en effet à asseoir l’empire du Premier ministre, débordé par les ambitions des Kurdes, ses alliés jusqu’ici, avec notamment le président kurde, Jalal Talabani, en position d’équilibriste. Fin 2007, la question kurde menaçait d’ailleurs de refaire violemment surface avec la perspective du référendum sur le rattachement de la ville pétrolière de Kirkouk au Kurdistan autonome. L’Onu a jugé plus sage de repousser la consultation au premier semestre 2008. Mais désormais, en Irak, la levée de boucliers est générale.

Le président du Kurdistan autonome, Massoud Barzani, revendique la souveraineté sur Kirkouk et multiplie en outre les contrats pétroliers avec des compagnies étrangères contre l’avis du gouvernement central. Il est même en train de négocier la construction d’une raffinerie et l’achèvement d’une autre avec des firmes canadiennes. En agitant le spectre d’un dépeçage de l’Irak, ces manifestations d’indépendance économique expliquent très largement les alliances contre-nature qui sont en train de se nouer.

Kirkouk pour l'exemple

Les signataires de la plate-forme Allaoui-Motlak-Sadr, assurant qu’ils entendent « répartir les richesses de façon équitable et recouvrer la souveraineté et l'indépendance » d’un Irak unitaire. Ils veulent « faire un exemple d’unité nationale en trouvant un accord politique national pour Kirkouk ». Mais ils souhaitent aussi que « les forces de sécurité soient reconstruites sur la base de la compétence, de façon à ce qu'elles fassent appliquer la loi et protègent la patrie, pour aboutir à la fin de l'occupation de la terre irakienne ».

Pour sa part, en annonçant son retour dans la sainte alliance du giron gouvernemental, Tarek al-Hachémi a indiqué qu’il allait rencontrer le Premier ministre Nouri al-Maliki pour évoquer avec lui « certaines exigences et pour écouter ce qui a été réalisé concernant ces demandes ». C’est en tout cas déjà comme un gage aux sunnites concédé par le chiite al-Maliki que les observateurs lisent le vote, samedi, de la loi assouplissant les mesures d’exclusion de la fonction publique des anciens membres du parti Baas de Saddam Hussein.

Certes, Washington a pesé sur l’adoption tardive de cette « Loi sur la justice et la transparence » qui annule partiellement la purge voulue par l'administrateur américain Paul Bremer. Accompagnant la dissolution de l'armée de Saddam Hussein, la décision de Bremer avait jeté des centaines de milliers d'Irakiens à la rue et dans les bras de l'insurrection sunnite. Au nom de la réconciliation, la nouvelle loi donne aujourd’hui « à des membres du cercle de décision du Baas n'ayant pas commis de crimes le droit à une pension de retraite et aux autres la possibilité de réintégrer » certains secteurs de l’administration irakienne, à l’exclusion des postes de direction et des domaines sensibles comme la justice, la défense ou le pétrole.

Les ex-baasistes sceptiques

La chasse à l’idéologie du Baas (un nationalisme arabe socialisant et laïc) reste ouverte avec la mise sur pied d’un Conseil sur la justice et la transparence. Et finalement, les bénéficiaires de la loi sont sceptiques sur ses effets et inquiets de savoir que «l es victimes du parti Baas pourront saisir des tribunaux spéciaux pour obtenir des compensations », comme l’avaient demandé différents dignitaires chiites. Mais l’heure ne paraît pas aux règlements de compte entre chiites et sunnites. « Nous sommes souples », assure al-Hachémi.

C’est plutôt pour les Kurdes que le vent tourne dans le mauvais sens. Appuyé par Washington pour la relative sécurisation de son territoire, le Kurdistan autonome de Massoud Barzani a sans doute surestimé sa marge de manœuvre, oubliant les retournements cruels du passé.