Le Kurdistan d’Irak offre la sécurité aux chrétiens

mis à jour le Mercredi 14 avril 2010 à 18h30

La-croix.com

Zone sécurisée par les combattants kurdes, cette région du nord de l’Irak a accueilli des dizaines de milliers de chrétiens depuis 2003

« Kurdistan is good for christians ». Dans son anglais approximatif, ce chauffeur de taxi de Kirkouk, qui a accroché un chapelet à son rétroviseur, résume ce que disent la plupart des chrétiens du nord de l’Irak.

Alors que le Kurdistan irakien (1) comptait jusqu’en 2003 environ 30 000 chrétiens, ce chiffre aurait triplé en sept ans, si bien qu’aujourd’hui ils seraient près de 100 000 chaldéens (catholiques) et syriens (catholiques ou orthodoxes) à vivre dans l’un des trois gouvernorats du gouvernement autonome du Kurdistan : celui d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien ; de Dohouk au nord ; de Souleimaniya au sud. Chaque mois, de nouvelles familles ayant fui Bagdad ou Mossoul viennent s’installer ici.

La première raison de cet engouement des chrétiens pour le Kurdistan est la sécurité. Grâce aux dizaines de milliers de peshmergas – les militaires kurdes – déployés sur les routes de cette région montagneuse au nord de l’Irak, les véhicules sont inspectés à de nombreux check-points. Erbil et Dohouk (sous contrôle du Parti démocratique du Kurdistan, PDK) et Souleimaniya (sous contrôle de l’Union patriotique du Kurdistan, UPK) semblent aussi sûres que des villes occidentales.

«La seule région d’Irak qui va bien»

C’est à Ankawa, quartier chrétien à la sortie d’Erbil, que s’est implanté depuis 2008 le séminaire chaldéen – l’ancien Babel College de Bagdad –, dans de vastes locaux en partie financés par Sarkis Aghajan, ancien ministre des finances du gouvernement du Kurdistan et chrétien activement engagé dans la cause kurde. « Ici, on peut vivre en paix », confirme le P. Bashar Warda, recteur rédemptoriste du séminaire d’Ankawa.

Les trois grandes villes du Kurdistan d’Irak sont en plein essor économique – comme le prouvent les immeubles et entreprises en construction un peu partout – et offrent des opportunités d’emplois dans l’électronique, les nouvelles technologies ou le secteur bancaire…

« C’est la seule région d’Irak qui va bien », lancent ensemble des adolescentes kurdes, scolarisées dans le lycée international de Dohouk. L’établissement a été ouvert en 2004 à l’initiative de Mgr Rabban Al Qas, évêque chaldéen d’Amadiya et administrateur patriarcal d’Erbil, avec l’aide de l’ONG monégasque « Enfance mission ». Cette année, y sont inscrits 184 élèves de 11 à 18 ans, indifféremment kurdes et turkmènes, filles et garçons, musulmans et chrétiens. « C’est grâce à mes nombreuses relations avec les responsables kurdes que j’ai pu fonder ce lycée », souligne « Matran Rabban » – comme on l’appelle ici –, qui en assume la direction.

Certains n’ont pas oublié les tumultes des années Saddam

Dans ce lycée modèle, les jeunes apprennent cinq langues (kurde, arabe, araméen, anglais et français) et n’ont pas d’enseignement religieux. « Cette école est une réponse à ceux qui veulent séparer les musulmans et les chrétiens », aime dire Mgr Al Qas. Le drapeau kurde flotte au-dessus de l’entrée de l’établissement et la photo de Mustafa Barzani – père de l’actuel président de la région autonome kurde, Massoud Barzani – est affichée dans tous les bureaux.

Pourtant, ce parti pris pro-kurde affiché par certains prêtres et responsables d’Église n’est pas sans poser question. Ne serait-ce que parce que certains n’ont pas oublié les tumultes des années Saddam. Du fait des révoltes kurdes contre la dictature et de la répression, près d’un million de Kurdes ont été tués, notamment durant la campagne Anfal en 1988 et près de 1500 villages kurdes et 400 villages chrétiens ont été détruits.

« De nombreux chrétiens ont alors dû fuir l’insécurité et, peu à peu, des Kurdes musulmans ont occupé leurs terres et leurs maisons », rappelle Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen de Kirkouk. Du coup, même si le gouvernement kurde a reconstruit des maisons pour les chrétiens, ceux-ci demandent à retrouver leurs biens.

«Les chrétiens sont une force pour le Kurdistan»

De plus, des rumeurs persistantes attribuent aux Kurdes certains attentats contre les chrétiens de Bagdad, de Mossoul ou de Kirkouk. Et ce, dans le double objectif de se donner un alibi pour s’installer dans la plaine de Ninive (berceau historique du christianisme irakien) où initialement ils n’étaient pas présents, et obliger ainsi les chrétiens à venir s’installer au Kurdistan pour faire nombre.

« Ces rumeurs sont absurdes et irrationnelles ! », s’emporte Mohammed Salih Amedi, gouverneur PDK d’Amadiya. « Si les Kurdes musulmans voulaient tuer les chrétiens, ils le feraient au Kurdistan. Pas besoin d’aller à Bagdad pour cela ! Les chrétiens sont une force pour le Kurdistan », poursuit le gouverneur en rappelant que, depuis des décennies, la confiance des Kurdes envers les chrétiens est « totale ». Et de rappeler que depuis 1992, les chrétiens du Kurdistan ont les mêmes droits que les autres : « dans aucune autre région du Moyen-Orient, ils n’ont une telle reconnaissance législative. »

Toutefois, les frontières du Kurdistan restant floues, bon nombre de villes et localités sont l’objet d’âpres revendications entre Kurdes, Arabes et Turkmènes, dans des affrontements d’appropriation de territoires et de ressources. C’est le cas dans la province de Kirkouk, qui représente 13% des réserves pétrolières de l’Irak et qui avait été « arabisée » de force par Saddam Hussein.

«Que deviendra Qaraqosh quand elle aura accueilli 7000 familles musulmanes ?»

C’est le cas également d’Al-Kosh, gros bourg entre Dohouk et Mossoul qui a accueilli 4000 familles chrétiennes depuis 2003 mais qui ne dépend pas officiellement du Kurdistan. « Nous nous sentons proches à 100% des Kurdes car ce sont eux qui nous protègent », explique-t-on à l’évêché d’Al-Kosh, récemment reconstruit par le gouvernement kurde.

De plus, les équilibres de populations dans ces provinces du nord de l’Irak restent précaires. Ainsi, la petite ville de Qaraqosh, à une demi-heure de route de Mossoul, chrétienne à 98% avec 40 000 chrétiens (dont 13 000 arrivés depuis 2003), se voit menacée par les autorités de Bagdad.

« Alors que ces terres et maisons appartiennent depuis toujours à des chrétiens, 3000 terrains à bâtir avaient été confisqués à l’époque de Saddam Hussein, en vue d’être distribués à d’autres minorités, et récemment le gouvernement central vient de mettre la main sur 4000 autres terrains à construire, explique Mgr Georges Casmoussa, évêque syrien catholique de Mossoul, qui s’est élevé contre ces préemptions. Pour l’instant, tout est gelé… Mais que deviendra Qaraqosh quand elle aura accueilli 7000 familles musulmanes ? ».

Si le Kurdistan est indéniablement aujourd’hui une zone sécurisée de l’Irak, permettant à de nombreux chrétiens d’y trouver refuge, rien ne garantit qu’il le restera dans l’avenir. D’autant qu’avec le retrait des troupes anglo-américaines, à partir de l’an prochain, l’autonomie des Kurdes risque d’être fragilisée.

Claire LESEGRETAIN, à Erbil, Kirkouk et Souleimaniya

(1) Depuis le traité de Sèvres (1920), les 30 millions de Kurdes sont répartis entre Turquie, Syrie, Iran et Irak. Et depuis 1992, le Kurdistan irakien a été érigé en région autonome.