ERBIL, Irak (Reuters) - Nimroud Youkhan, le ministre du Tourisme, qui dispose de 417 fonctionnaires, nourrit des projets ambitieux: "Il nous faut trois ou quatre fois plus d'hôtels et davantage de compagnies aériennes qui viennent ici."
Du tourisme, en Irak ? Plus d'hôtels, dans un pays synonyme de camions piégés, d'enlèvements, de décapitation d'étrangers, de scènes de chaos ?
Oui, mais on se trouve ici au Kurdistan, présenté comme "l'autre Irak par une campagne de promotion publicitaire américaine.
Les trois provinces du nord de l'ex-Mésopotamie vivent dans un état de quasi-indépendance depuis qu'un bouclier aérien américain les a placées hors de portée du régime de Saddam Hussein après la première guerre du Golfe, il y a déjà 16 ans.
Administrée par le gouvernement régional du Kurdistan (GRK), la pointe nord du vaste territoire irakien est très largement épargnée par les violences qui déchirent le reste du pays depuis l'invasion anglo-américaine de 2003.
"Nous avons encore du chemin à parcourir mais nous avons l'intention à terme d'accueillir des festivals folkloriques annuels à l'instar de celui de Djerach", une station jordanienne qui attire chaque année des artistes et un public venu du monde entier, explique Youkhana.
INTERNET HAUT DEBIT ET ESCALATOR
La cible visée par le ministère du Tourisme est la clientèle fortunée du Golfe, qui apprécie les stations d'altitude, leur décor alpin et leur tolérance relative vis-à-vis de l'alcool, ainsi que les Européens en quête de destinations exotiques ou de sites archéologiques millénaires.
Les ambitions de Youkhana - et même la simple existence d'un ministère du Tourisme - témoignent d'une grande confiance dans l'avenir du Kurdistan, tout comme les projets immobiliers pharaoniques qui y sont envisagés.
A portée de l'aéroport d'Erbil, la chaîne hôtelière de luxe Kempinski construit un établissement et la nouvelle Cité de Naz dresse ses tours d'habitations de 14 étages dotées d'un accès à l'internet haut débit.
A Erbil, où les troupes de l'empereur macédonien Alexandre le Grand défirent celles du roi Darius de Perse, le centre commercial géant de Nichtiman est équipé du seul escalator du Kurdistan - que les enfants kurdes, émerveillés, montent et descendent inlassablement.
On ignore le montant des sommes investies au Kurdistan depuis l'invasion de 2003. Le Conseil des investissements, agence gouvernementale mise sur pied l'été dernier, précise avoir approuvé jusqu'à présent pour plus de 3,5 milliards de dollars de projets.
"PLUS SUR QUE LE NEW JERSEY"?
Principal argument des Kurdes pour convaincre les étrangers de visiter leur patrie et d'y investir: la sécurité. Y a-t-il un autre endroit en Irak où un Occidental peut musarder dans les marchés et se promener dans les rues sans crainte d'être enlevé ou abattu ?
"Je me sens plus en sûreté à Erbil ou à Souleïmanieh qu'à Camden, dans le New Jersey", affirme Harry Schute, un colonel en retraite de l'US Army qui a servi en Irak et s'y est reconverti comme conseiller à la sécurité du président du GRK, Massoud Barzani.
"Mais quand les gens entendent le mot Irak, ils pensent immédiatement 'violence'. Ils ne comprennent pas que Bagdad et Erbil appartiennent à deux mondes différents."
Le sentiment de sécurité éprouvé par les Kurdes irakiens a été fortement entamé par deux attentats en mai. Un camion piégé a explosé devant le ministère de l'Intérieur, faisant 15 morts et une centaine de blessés. Trois jours plus tard, une voiture piégée a fait 30 morts et une cinquantaine de blessés au siège du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Barzani.
Les autorités régionales ont répliqué en renforçant les mesures de sécurité déjà extrêmement strictes en vigueur et en interdisant l'accès de leur territoire à pratiquement tous les non-Kurdes ne pouvant se prévaloir de la caution d'un Kurde.
"POUR COEURS BIEN ACCROCHES"
Les attentats de mai n'ont pas découragé la compagnie Austrian Airlines, seul transporteur européen desservant régulièrement Erbil, d'ajouter en juillet un quatrième vol hebdomadaire Vienne-Erbil. Tous ses appareils voyagent à plein.
Mais les conseils diffusés par les gouvernements étrangers à leurs ressortissants qui voyagent entravent les efforts de promotion du Kurdistan, regrettent les autorités régionales.
Ainsi, le département d'Etat américain ne fait aucune différence entre le Kurdistan et le reste de l'Irak, déconseillant fortement aux Américains de s'y rendre.
D'autres pays, comme le Danemark, le Japon, l'Autriche, la Suède et les Pays-Bas, ont néanmoins rayé le Kurdistan de la liste des destinations dangereuses, se félicite Falah Moustafa Bakir, chef du département des relations extérieures du GRK.
L'opérateur britannique Hinterland Travel a organisé en mai pour des quinquagénaires et sexagénaires aventureux un voyage dans les trois provinces sous administration du GRK. Une excursion est programmée par le voyagiste pour septembre.
Mais les Kurdes les plus optimistes sont encore bien loin de prophétiser une ruée touristique vers le Kurdistan. Et Geoff Hann, propriétaire d'Hinterland Travel, prévient que l'excursion qu'il propose "ne s'adresse pas à ceux qui ont le coeur fragile".