a nouvelle a dû satisfaire les autorités du Kurdistan irakien qui n'ont cessé de proclamer leur ambition de transformer leur région en "nouveau Dubaï". La compagnie norvégienne Den Norske Oljeslkep (DNO) a en effet annoncé, mercredi 16 mai, qu'après deux ans consacrés à l'exploration, elle était prête, dès juin, à lancer la production de pétrole sur le site de Tawke, au nord du Kurdistan d'Irak. Si elle y parvient, elle sera la première compagnie étrangère à extraire du brut irakien de l'ère post-Saddam Hussein.
Cet optimisme risque de se heurter à la loi sur les hydrocarbures qui n'a toujours pas été adoptée par le Parlement irakien et continue de susciter des débats houleux. Les initiatives du gouvernement régional kurde, signant des contrats sans en référer à Bagdad, ont été dénoncées à maintes reprises comme une attitude "séparatiste". Début mai, le ministre irakien du pétrole, Hussein Chahristani, a averti qu'"aucun contrat ne serait considéré comme valide et légal" s'il était conclu avant l'adoption de la nouvelle législation.
Le contrat de DNO pourrait donc être remis en cause. Pour Ruba Husari, experte de la revue de l'Energy Intelligence Group, en vertu de la loi discutée au Parlement irakien, la société de commercialisation d'Etat Somo est responsable de toutes les ventes de pétrole à l'étranger. Par ailleurs, la future compagnie d'Etat, Iraki National Oil Company, sera chargée de tous les oléoducs. Un accord avec Bagdad est donc vital pour écouler la production kurde.
De son côté, le ministre régional kurde de l'énergie, Ashti Hawrami, avait prévenu le mois précédent que le Kurdistan conclurait ses propres contrats si la loi n'avait toujours pas été adoptée fin mai. Dans un entretien accordé au Financial Times le 23 mars, il affirmait être en pourparlers avec de nouvelles compagnies. "Nous espérons que les opérateurs préféreront venir (au Kurdistan) pour s'y établir que d'investir dans le reste de l'Irak", ajoutait-il, précisant qu'il "existe quinze compagnies avec lesquelles nous voulons aboutir".
Fort de presque 45 milliards de barils de réserves selon ses responsables, le Kurdistan n'est cependant pas parvenu à attirer les majors de l'industrie pétrolière, rebutées par les risques trop élevés en Irak, y compris dans l'enclave kurde du nord du pays pourtant relativement épargnée par la violence. Hormis DNO, seules deux sociétés turques, Petoil et General Energy, depuis associées au groupe kurde Eagle et à la compagnie canadienne Heritage Oil Corporation, se sont installées au Kurdistan.
Washington a également émis des critiques. Décembre 2006, le rapport Baker-Hamilton estimait que "les dirigeants kurdes s'étaient montrés particulièrement agressifs en imposant un contrôle indépendant de leur patrimoine pétrolier". La politique du pétrole, ajoutait le rapport, "peut mettre à mal les efforts pour créer un gouvernement central unifié".
M. Hawrami affirme au contraire avoir fait preuve de bonne volonté. "Nous avons accepté de revenir sur des points pourtant essentiels, comme la centralisation des revenus du pétrole, expliquait-il récemment au Monde. Ce que nous revendiquons, en accord avec la Constitution, ce sont des revenus partagés et répartis de façon juste et équilibrée".
VÉTUSTÉ DES RAFFINERIES
La redistribution des revenus doit s'effectuer aux différentes provinces sur la base de leur population. Bagdad s'appuie sur des estimations démographiques qui portent à 17 % la proportion de Kurdes dans la population irakienne. Le gouvernement kurde revendique, lui, 24 %, un pourcentage correspondant au score qu'il a obtenu aux élections de janvier 2005.
Enfin, de façon pratique, se posent les questions de la vétusté des raffineries et des problèmes liés au transport. L'annonce de DNO d'un début de production dès juin laisse sceptiques les experts pétroliers, à l'instar de l'Irakien Mohammed Ali Zainy du Centre for Global Energy Studies, un centre d'études énergétiques londonien : "DNO n'a pas de débouchés à l'exportation. L'oléoduc turc est fermé et celui du sud, via Bassora, n'est pas opérationnel. Par ailleurs, il n'existe pas de raffineries locales dignes de ce nom pour absorber cette production".
Une situation qui inquiète aussi les investisseurs au Kurdistan, comme l'explique au Monde Ilnur Cevik, puissant entrepreneur turc installé à Erbil : "Les gens recherchent des profits à court terme. Ils peuvent extraire du pétrole mais, après, comment le vendre sans l'aide de la Turquie ? Les raffineries sont un autre problème. Il en est question partout mais il n'en existe aucune. Qui accepterait d'investir autant d'argent alors que règne tant d'incertitude ? Même le plus riche de tous les cheiks va se poser la question de la sécurité et, surtout, de quoi sera fait demain".
Cécile Hennion (avec Marc Roche à Londres)
Article paru dans l'édition du 23.05.07