Le premier ministre irakien cherche une alliance avec les Kurdes pour sauver son poste

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LE MONDE | 11.02.05

Largement battu aux élections par la liste chiite soutenue par le grand ayatollah Ali Al-Sistani, Iyad Allaoui tente de construire une coalition.
Erbil (Kurdistan irakien) de notre envoyée spécialeAprès s'être entretenu avec les partis chiites et sunnites à Bagdad, le premier ministre irakien, Iyad Allaoui, a rencontré Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), jeudi 10 février, à Erbil. Dans leurs déclarations, les deux hommes ont insisté sur leur volonté commune de voir émerger un "Irak démocratique, fédéral et pluraliste". Pour cela, a expliqué Iyad Allaoui, "toutes les forces politiques devront parvenir à un consensus. Aucune catégorie de la société irakienne ne sera exclue du processus, quel que soit le résultat du scrutin". Le message faisait référence aux partis arabes sunnites, grands absents des élections du 30 janvier. Mais il a été accueilli avec ironie par un journaliste kurde : "C'est Allaoui qui va être exclu du processus politique, s'il n'obtient pas très vite une alliance avec les Kurdes !"

C'est aussi dans cet état d'esprit qu'a été reçu le commentaire bienveillant du premier ministre au sujet de la candidature de Jalal Talabani, leader de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), à la présidence de l'Irak. "Tout Irakien a le droit de postuler. Un Kurde a le droit de poser sa candidature à n'importe quelle fonction, au même titre qu'un Arabe", a déclaré M. Allaoui. Malgré sa présence quotidienne sur trois grandes chaînes de télévision nationales durant la période préélectorale, et malgré les multiples diffusions d'un documentaire, Un homme, une patrie, exaltant sa vie et son combat politique, Iyad Allaoui n'a pas obtenu le succès escompté aux élections. Après le dépouillement partiel des votes, il n'arrive qu'en troisième position, avec 13,6 % des suffrages, derrière la Liste unifiée kurde (LUK) (24,6 %) et très loin derrière la liste chiite soutenue par le grand ayatollah Ali Al-Sistani, créditée de 51,4 % des voix.

TOUR DE FORCE

Si ces chiffres se confirment, M. Allaoui ne pourra donc ni garder son poste de premier ministre ni prétendre à un rôle prépondérant sur la scène politique irakienne. "Sa seule chance de conserver le pouvoir consiste à construire, autour de sa personne, une coalition de partis capables de contrebalancer le poids de la liste Al-Sistani", explique ainsi Fouad Hussein, un analyste politique kurde.

Sachant que la liste chiite revendique le poste de premier ministre et qu'elle devrait remporter la majorité absolue aux élections, l'exercice relève du tour de force, voire de l'impossible. Sauf si la liste chiite venait à se diviser sur la désignation de son propre candidat. Et sauf si des différends politiques venaient faire voler en éclats son unité au sein de la future Assemblée. Dans les deux cas, les meilleurs alliés d'Allaoui ne peuvent être que les Kurdes qui, en plus de leur bon score annoncé, affichent jusqu'à présent une unité totale.

Les Kurdes accepteront-ils cette alliance ? "Allaoui et Barzani se connaissent depuis les années 1980", indique Falah Moustafa, ministre PDK et proche de M. Barzani, avant d'ajouter : "Après le soulèvement de 1991, Allaoui venait souvent au Kurdistan. Depuis, ils sont devenus amis. En juin 2004, Barzani avait appuyé sa candidature au poste de premier ministre. Il est certain que ces bonnes relations vont se poursuivre." "Mais pour le moment, relativise-t-il, les Kurdes ne cherchent pas à faire alliance avec quelqu'un en particulier. Nos relations avec la liste chiite sont excellentes."

QUESTION EMBARRASSANTE


"Il n'y aura pas d'alliance tant que le résultat final ne sera pas connu, estime l'analyste Fouad Hussein. Tout dépend de ce qu'Allaoui pourra offrir aux Kurdes et, surtout, si la liste chiite restera unie. En attendant, les Kurdes discutent, essaient de garder toutes les portes ouvertes. Cela ne signifie pas que ces discussions doivent se conclure par des accords..."

Dans les bureaux du PDK, on abonde dans le même sens. "En ce moment, affirme Falah Moustafa, tout le monde voudrait faire alliance avec les Kurdes. Nous allons voir encore beaucoup d'autres personnalités politiques débarquer au Kurdistan..."

Par ailleurs, la venue du premier ministre à Erbil a permis de clarifier la question embarrassante du "référendum" kurde, organisé en marge des élections du 30 janvier. Les électeurs de la région pouvaient choisir entre "un Kurdistan intégré à l'Irak" ou "un Kurdistan indépendant".

Le résultat, rendu public le 6 février, a annoncé - sans surprise - 98,76 % de voix en faveur de l'indépendance. Massoud Barzani a pris ses distances, indiquant qu'"il s'agit d'un mouvement populaire qui ne reflète en rien la politique du leadership kurde".

Cécile Hennion

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Plus de 70 morts dans la journée de jeudi

Plus de 70 personnes ont péri, jeudi 10 février, dans des violences qui ont marqué le Nouvel An musulman en Irak, où les autorités mettent en place un plan sécuritaire pour le deuil chiite de l'Achoura, prévu dans dix jours. Au moins 10 policiers ont été tués et 50 blessés dans des accrochages au sud de Bagdad. Les hélicoptères de l'armée américaine ont dû intervenir contre les rebelles, faisant au moins 20 morts. A Bagdad, une voiture piégée a explosé au passage d'un convoi militaire américain, tuant deux Irakiens et en blessant six autres, selon des sources hospitalières. Le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, a effectué, vendredi, une visite surprise à Mossoul, dans le nord. Dès que les forces de sécurité irakiennes "auront la confiance et la capacité, nos forces - les forces de la coalition - pourront rentrer à la maison avec les honneurs", a dit M. Rumsfeld, le plus haut responsable américain à se rendre en Irak depuis les élections du 30 janvier. - (AFP.)

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 12.02.05