BAGDAD - Le président irakien, le Kurde Djalal Talabani, s'est employé jeudi à calmer la flambée de violences déclenchée par l'attentat à la bombe qui a détruit la veille le dôme d'or de la grande mosquée chiite de Samarra.
Alors qu'on a recensé plus de 130 morts en vingt-quatre heures d'affrontements interconfessionnels, Talabani a souligné, lors d'une conférence de presse télévisée, qu'une guerre civile "n'épargnerait personne".
Il a tenu ces propos après avoir rencontré les principaux dirigeants des factions politico-religieuses du pays, à l'exception notable de la principale alliance sunnite, le Front de la concorde.
Celui-ci a boycotté la rencontre et suspendu sa participation aux laborieux pourparlers pour la formation d'un gouvernement d'union nationale pour dénoncer le silence des autorités chiites devant les exactions commises contre les sunnites et leur incapacité à les protéger.
Le Front de la concorde, qui a raflé l'essentiel des suffrages des sunnites lors des législatives de décembre dernier, a exigé des excuses des chiites qui dominent le pouvoir avant de consentir à reprendre les négociations sur la formation du gouvernement.
Devant le danger d'extension des troubles, la police et l'armée ont été mises en état d'alerte et toutes les permissions ont été annulées. Le couvre-feu nocturne a été étendu à Bagdad et dans d'autres villes.
47 PERSONNES MASSACREES AU SUD DE BAGDAD
A Washington le président George Bush a dit comprendre la colère des chiites après la destruction du dôme de la mosquée de Samarra, qui abrite les mausolées de deux imams vénérés, mais il a lancé à toutes les parties un appel au calme et à la retenue.
Washington a attribué à Al Qaïda l'attentat de Samarra, qui n'a pas été revendiqué.
Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a mis en cause les "forces sionistes et étrangères".
Le Conseil des moudjahidine, organisme qui regroupe des activistes sunnites sous la direction d'Al Qaïda, a mis en cause pour sa part le gouvernement irakien dirigé par le chiite Ibrahim Djaafari et l'Iran.
Les principales autorités religieuses sunnites irakiennes ont formulé des critiques inhabituellement vives à l'encontre du grand ayatollah Ali Sistani, qui avait invité, tout aussi inhabituellement, les fidèles chiites à manifester leur colère - avec modération - après la destruction du dôme de Samarra.
De sources militaire et policière, on a décompté plus de 130 victimes, pour la plupart sunnites, dans la vague de violence provoquée par l'attentat dans les régions de Bagdad et Bassorah, les deux principales villes du pays, où des dizaines de mosquées sunnites ont été attaquées.
Dans un village au sud de Bagdad, 47 personnes, des sunnites et des chiites revenant d'une manifestation de protestation contre l'attentat de Samarra, ont été abattues à un barrage par des hommes armés et leurs corps ont été jetés dans un fossé.
RISQUE "SERIEUX" DE GUERRE CIVILE
Près de Samarra, une journaliste irakienne de la chaîne Al Arabia et deux membres de son équipe ont été enlevés et tués dans une embuscade tendue par des hommes armés alors qu'ils revenaient d'un reportage sur les lieux de l'attentat.
A Bakouba, ville religieusement mixte au nord-est de Bagdad, une bombe a explosé au passage d'une patrouille de police, faisant 16 morts. A Jaouïdja, au nord de la capitale, quatre "marines" américains ont péri dans un attentat analogue.
La situation explosive en Irak a été évoquée par la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice lors d'une visite surprise à Beyrouth, où elle a rencontré le président chiite du parlement, Nabih Berri, un allié de Damas et de Téhéran.
"Les seuls qui veulent une guerre civile en Irak sont les terroristes comme Zarkaoui", a-t-elle estimé devant la presse, se référant au Jordanien Abou Moussab Zarkoui, qui dirige la branche irakienne d'Al Qaïda.
"Le peuple irakien oeuvre dans des circonstances extrêmement difficiles à combler les désaccords d'ordre confessionnel", a-t-elle fait observer.
Le Conseil de sécurité des Nations unies, généralement divisé sur la question irakienne, a formulé unanimement le voeu que tous les Irakiens se rallient derrière un gouvernement non confessionnel.
Pour Joost Hilterman, expert irakien à l'International Crisis Group, le risque de guerre civile en Irak est aujourd'hui "extrêmement sérieux".
http://www.liberation.fr/page.php?Article=362072