Le procès d'Orhan Pamuk ajourné au 7 février

vendredi 16 décembre 2005, 15h33

ISTANBUL (AP) - Dès son ouverture, le procès de l'écrivain turc Orhan Pamuk a été ajourné vendredi pour des questions de procédure. La prochaine audience a été fixée au 7 février.

 

Le délai doit permettre de déterminer si l'article 301 du nouveau code pénal, réprimant les atteintes et insultes contre la république turque, peut s'appliquer de manière rétroactive à Pamuk. L'écrivain risque jusqu'à trois ans de prison pour avoir évoqué le génocide arménien dans un entretien à un journal suisse en février.

Ses avocats ont rappelé que ces propos dataient de plusieurs mois avant l'entrée en vigueur de la loi. Le président du tribunal Metin Aydin a précisé que la cour avait fait appel au ministère de la Justice pour déterminer si elle est rétroactive. Dans le cas contraire, les charges qui pèsent contre l'écrivain seront probablement abandonnées.

Orhan Pamuk est entré dans la salle d'audience vêtu d'un costume sombre, sous les huées et les "traîtres" d'une dizaine de nationalistes. L'écrivain a salué ses partisans, parmi lesquels figuraient plusieurs membres du Parlement européen et un représentant de l'UE. Pour beaucoup, l'affaire est considérée comme un test décisif sur la volonté de la Turquie d'ouvrir le débat sur une question aussi sensible que le génocide arménien.

"Trente mille Kurdes et un million d'Arméniens ont été tués sur ces terres (en Turquie, NDLR) et personne n'ose en parler, à part moi", avait déclaré l'écrivain de 53 ans dans le supplément hebdomadaire du quotidien "Tages-Anzeige", "Das Magazin". L'un des écrivains turcs les plus connus, Orhan Pamuk est l'auteur de "Mon nom est Rouge", "Istanbul" ou "Neige", qui lui ont valu de nombreux prix littéraires en Europe, dont le prix Médicis étranger cette année en France.

Les livres d'Orhan Pamuk portent sur la mémoire et l'identité du pays, tiraillé entre ses influences occidentales et orientales, conservatrices et modernes, islamiques et laïques. L'écrivain s'est fréquemment élevé contre le traitement de la minorité kurde, a critiqué le manque de démocratie et le "nationalisme effréné", refusant en 1998 le statut d'artiste officiel.

Selon le commissaire européen à l'élargissement Olli Rehn, ce procès devait constituer pour Ankara un "test décisif" de sa volonté de garantir la liberté d'expression, et établir un précédent. "Ce n'est pas Orhan Pamuk qui sera jugé demain (vendredi), mais la Turquie", avait-il déclaré jeudi. "Le procès d'un romancier qui a exprimé une opinion non-violente jette une ombre sur les négociations d'adhésion entre la Turquie et l'Union européenne".

"L'accusation d'insulte est une chose que l'on associe aux dictatures, et non à un Etat européen moderne", a observé vendredi Denis MacShane, ancien ministre britannique des Affaires européennes et membre du Parlement européen. "Cette affaire a porté un coup très dur aux partisans de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne". AP

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