A Nicosie, un chypriote regarde sur son téléphone une vidéo du chanteur iranien Shervin Hajipour, libéré à Téhéran le 4 octobre 2022, après avoir été arrêté pour sa chanson de soutien aux protestations liées à la mort de Mahsa Amini.
KHALED DESOUKI / AFP
Lemonde.com | Par Ghazal Golshiri
Très utilisés par les Iraniens, les réseaux privés virtuels permettent de contourner la censure mise en place depuis le début des manifestations, mais ils font l’objet d’une traque par les autorités.
Comme tous ses amis, Pouria, un entrepreneur de Téhéran qui préfère rester anonyme, a installé vingt VPN (virtual private network, ces « réseaux privés virtuels » utilisés pour contourner la censure) différents sur son téléphone depuis le début du soulèvement en Iran, le 16 septembre. Date à partir de laquelle l’accès à l’Internet mondial est coupé presque entièrement entre 16 heures et minuit dans le pays, car la majorité des manifestations surviennent pendant cette tranche horaire.
Le reste de la journée, la connexion reste très perturbée. Et la coupure d’Internet est totale dans les régions kurdes, d’où était originaire Mahsa Amini, dont la mort, après son arrestation par la police des mœurs pour un voile mal ajusté, est à l’origine du soulèvement. Mais la répression est particulièrement sévère ailleurs : la province du Sistan-et-Baloutchistan (sud-est du pays), où, selon l’organisation Amnesty International, au moins 82 personnes ont été tuées depuis le 30 septembre, a également connu une importante coupure d’Internet.
Depuis les manifestations de 2017, cette stratégie est utilisée par le régime lors de chaque vague de contestation. Il s’agit d’empêcher la circulation d’informations entre les manifestants et la diffusion d’images hors du pays. En 2019, la coupure d’Internet a été totale pendant près de dix jours lorsque les Iraniens sont descendus dans la rue, après l’annonce de la hausse des prix de l’essence.
Cette fois, les autorités ont bloqué les applications WhatsApp et Instagram, les derniers services étrangers encore accessibles en Iran jusqu’à il y a peu. Les autorités ont annoncé que leur blocage ne serait pas levé. Twitter et Facebook sont interdits d’accès depuis 2009, Telegram depuis fin 2017.
Depuis mi-septembre, les Iraniens sont donc de plus en plus nombreux à installer des VPN sur leurs téléphones portables et leurs ordinateurs pour accéder à Internet. Les amis et les membres d’une même famille s’appellent régulièrement pour savoir quel réseau utiliser et comment le télécharger. « Tous les jours, j’essaie mes vingt VPN, l’un après l’autre, pour voir lequel me permet de me connecter à Telegram. Mais il est très compliqué d’envoyer des vidéos, des photos et même des messages vocaux. Il est encore plus difficile, voire impossible, d’avoir à accès à WhatsApp », explique Pouria.
Ces dernières années, Téhéran a accéléré la mise en place du projet de « réseau national de l’information » (RNI). Lancé en 2012, il vise à donner aux autorités la capacité de couper l’accès à l’Internet international, sans que la vie quotidienne en soit affectée. Voilà pourquoi, depuis le 16 septembre, les sites hébergés en Iran – dont le contenu et l’existence sont validés par la République islamique – sont restés accessibles, tout comme les messageries et les applications conçues par les Iraniens et autorisées par le régime. Mais l’accès à ces services peut également faire courir un risque à leurs utilisateurs : leurs données peuvent finir entre les mains des services de renseignement du pays, où toute personne peut être poursuivie et condamnée à des peines de prison pour opposition au régime.
Depuis le début des manifestations, des spécialistes d’Internet ont relevé une importante avancée technologique du régime. « Nous avons constaté que les autorités utilisent, de manière constante, une technologie sophistiquée pour traquer les VPN qu’ils neutralisent les uns après les autres ; ce qui fait que les Iraniens ont beaucoup de mal à trouver un VPN qui marche », explique la chercheuse Mahsa Alimardani, de l’ONG britannique pour la liberté d’expression Article 19. Selon elle, la provenance de cette technologie reste un mystère.
A Téhéran, au moins quatre spécialistes en informatique qui documentaient la censure d’Internet par le régime et se mobilisaient contre la mise en place du RNI – dont le très connu défenseur de l’Internet libre Amir Mirmirani, surnommé « Jadi » – ont été arrêtés à leur domicile.