lundi 3 avril 2006
Cinq jours de violentes émeutes lancées par le PKK ont fait neuf morts.
Istanbul de notre correspondant - Par Ragip DURAN
Les émeutes qui, pendant cinq jours, ont enflammé Diyarbakir et d'autres villes du Sud-Est anatolien, faisant au moins 9 morts et plus de 100 blessés, rappellent l'urgence du problème kurde, alors qu'Ankara a entamé, en octobre, les négociations d'adhésion à l'Union européenne.
«C'est l'explosion d'une rage accumulée où se mêlent le désespoir politique face au blocage institutionnel et une immense frustration sociale», explique Umit Firat, intellectuel kurde indépendant.
Organisation terroriste. Les assaillants étaient, pour la plupart, des jeunes de 13 ans à 18 ans. A coups de pierres, ils ont attaqué les véhicules blindés de la police, les bâtiments officiels et les magasins, aux cris de «libération pour Abdullah ÷calan», le leader des rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), arrêté au Kenya en février 1999, puis condamné à la prison à vie. Ces heurts sont les plus violents depuis la reprise des combats par le PKK qui a mis fin, en juin 2004, au «cessez-le-feu unilatéral» proclamé cinq ans plus tôt. Le PKK est considéré comme une organisation terroriste par l'UE et les Etats-Unis.
Entre 1984 et 1999, la «sale guerre» entre les rebelles kurdes et l'armée a fait 37 000 morts et plus de 3 millions de personnes déplacées. Les opérations de la guérilla kurde embuscades le long des routes ou attentats à la bombe dans les villes ont fait, l'an dernier, quelque 84 morts parmi les forces de l'ordre.
Là, pour la première fois depuis une décennie, il s'agit de violences urbaines de masse dans une région peuplée en majorité de Kurdes, qui représentent quelque 13 % de la population du pays. Les troubles se sont étendus et, samedi, un millier de manifestants ont incendié à Kiziltepe, près de la frontière syrienne, une permanence de l'AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir), issu du mouvement islamiste. «Nos forces de sécurité feront ce qu'elles ont à faire, quelles que soient les personnes servant d'instrument au terrorisme, fussent-elles des enfants ou des femmes», a martelé vendredi le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, usant d'un ton d'autant plus ferme qu'il avait été très durement critiqué, les mois précédents, par les secteurs les plus sécuritaires de l'appareil d'Etat.
Sous pression de l'Union européenne, le gouvernement avait en effet lancé des réformes permettant l'usage de la langue kurde, notamment dans les médias. Mais ces avancées restent bien timides. En août, Erdogan s'était rendu à Diyarbakir pour rappeler que «la question kurde se résoudrait seulement avec plus de démocratie». Mais le PKK, dirigé par ÷calan du fond de sa prison, continue d'attiser le conflit afin de s'imposer comme interlocuteur incontournable.
Les violences ont commencé lundi dernier à Diyarbakir, lors des funérailles de 4 des 14 combattants de la guérilla tués dans un accrochage avec les forces de l'ordre. Les militants du PKK se sont activés pour mobiliser la population de la ville (environ 1 million d'habitants). Des tracts ont été diffusés appelant à la désobéissance civile et ces informations reprises par la chaîne sattelitaire kurde Roj TV, basée au Danemark et accusée par Ankara d'être pro-PKK.
«Réfugiés de l'intérieur». Rapidement, les violences se sont étendues. Le terrain est fertile : des centaines de milliers de «réfugiés de l'intérieur», chassés de leurs villages pendant la «sale guerre», n'ont toujours pas pu revenir sur leurs terres. «Il n'y a pas de travail, pas d'école, pas assez de logements et ces jeunes déracinés n'ont rien à perdre», reconnaît un conseiller de la municipalité membre du DTP (Parti de la société démocratique), le parti kurde crée l'an dernier par Leyla Zana et Orhan Dogan, les ex-députés kurdes emprisonnés pendant dix ans pour complicité avec la guérilla.
Mais leur marge de manoeuvre est étroite. Proche du DTP, le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, avait multiplié les efforts pour calmer les jeunes manifestants tout en saluant «leur courage». La justice a aussitôt ouvert une information pour apologie du terrorisme. Comme nombre d'intellectuels kurdes, Umit Firat est amer et inquiet : «l'Etat turc n'a toujours pas compris l'essence historique, politique et sociale de la question kurde, pour ne la considérer que comme un problème de sécurité, et c'est pourquoi elle dure toujours.»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=371941