8 octobre 2007La multiplication des accrochages armés dans l’est du pays gêne le pouvoir d’Erdogan.
RAGIP DURAN, Diyarbakir
Alors que treize soldats ont été tués hier dans le sud-est de la Turquie par les rebelles kurdes, et qu’un attentat a fait six blessés à Istanbul, l’armée a annoncé la création de nouvelles zones de sécurité le long de la frontière avec l’Irak (lire ci- contre).
« Nous n’avons jusqu’ici pas pu empêcher les jeunes de rejoindre la montagne», avait reconnu la semaine dernière le chef de l’armée de terre, Ilker Basbug.
Médias. La question kurde hypothèque la relance des réformes après les élections du 22 juillet marquées par la victoire de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan, issu du mouvement islamiste, mais aussi par l’entrée au Parlement, p our la première fois depuis quatorze ans, de vingt députés kurdes du DTP (Parti de la société démocratique). Les Kurdes sont 13 millions sur 70 millions de citoyens turcs. Mais les espoirs d’une solution politique s’enlisent. Les élus du DTP sont accusés de soutenir «le terrorisme séparatiste» des rebelles du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). De leur côté, ils dénoncent l’ostracisme dont ils seraient victimes de la part des autorités et des médias. La présidente des Verts allemands, Claudia Roth, en visite à Ankara, s’est également plainte «des efforts pour exclure le DTP du Parlement».
Pourtant tout avait bien commencé. Mi-août, lors de l’ouverture de la nouvelle Assemblée, les dirigeants du DTP avaient été applaudis par les membres du Parlement, quand ils avaient serré la main du leader ultranationaliste du MHP (Parti d’action nationaliste, 77 députés). La majorité des observateurs turcs et kurdes croyait alors que le problème kurde pouvait enfin prendre sa place dans l’ordre du jour du Parlement. Mais les premières frictions sont vite apparues. D’abord avec l’armée qui a refusé d’inviter les députés du DTP aux cérémonies officielles de la fête de la Victoire le 29 août. Puis le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a exigé du DTP qu’il dénonce clairement le PKK comme «une organisation terroriste». Ce groupe armé est déjà considéré comme tel par l’Union européenne et les Etats-Unis. Le DTP a rétorqué : «Nous n’appelons pas nos frères des terroristes.» Une déclaration qui a suscité l’indignation, confortant le point de vue de ceux qui voient en ce parti une simple « vitrine politique» du PKK.
Les espoirs de pacification ont subi un autre coup dur le 29 septembre quand des hommes armés ont mitraillé un minibus à Sirnak (sud-est) tuant 13 personnes dont des femmes et des enfants ainsi que 7 miliciens progouvernementaux. Aussitôt mis en cause, le PKK a nié toute responsabilité dans ce qui est le plus grave massacre de civils dans le sud-est depuis plusieurs années. Des combattants du PKK ont ils eu la gâchette trop facile ? S’agit-il d’une vengeance locale ? D’une provocation des autorités ? La multiplication des incidents sur le terrain montre en tout cas que le PKK, même affaibli, est encore à même d’agir. L’armée met en cause les infiltrations des rebelles depuis leurs bases arrières en Irak du Nord. Elle critique ouvertement les limites de l’accord «antiterroriste» signé avec Bagdad, fin septembre, qui n’autorise pas les poursuites à chaud au-delà de la frontière. Nombre d’observateurs estiment néanmoins que les militaires ont une attitude ambivalente. «L’armée désire la poursuite des activités violentes du PKK pour sauvegarder sa place privilégiée dans le sphère politique», affirme l’intellectuel kurde Umit Fırat.
Cachot. S’affichant comme réformiste et proeuropéen, l’AKP a doublé ses scores électoraux dans le sud-est à majorité kurde encore marquée par les souvenirs de la «sale guerre» qui avait fait plus de 36 000 morts dans les années 80-90. Il espère maintenant gagner les municipalités, notamment celle de Diyarbakır, la capitale régionale. Une douzaine de maires kurdes du sud-est sont toujours poursuivis pour «propagande séparatiste», «promotion du bilinguisme dans les services municipaux» ou accusés d’avoir appelé «respectable monsieur» le leader du PKK Abdullah Ocalan emprisonné sur l’île Imrali (mer de Marmara) depuis 1999. Ce dernier, du fond de son cachot, continue à faire entendre sa voix au travers de ses avocats : «Si la nouvelle Constitution admettra l’existence et l’expression libre de toutes les cultures, je peux réaliser l’armistice dans deux mois.» Condamné à la prison à vie, il entend être incontournable.
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