NOUVELOBS.COM [15 décembre 2005]
Par son prestige inégalé et sa pondération, le grand ayatollah Ali Sistani, chef religieux chiite d'Irak, a tempéré l'ardeur de sa communauté dans sa quête du pouvoir après la chute du régime de Saddam Hussein, en avril 2003.
Pour les législatives du 15 décembre, l'Ayatollah Sistani a annoncé sa neutralité, en appelant les Irakiens à voter en évitant de "disperser leurs voix" en se prononçant pour les petites listes, après avoir soutenu pour les élections générales du 30 janvier la liste chiite.
Pour conduire pour la première fois les chiites au pouvoir dans un grand pays arabe depuis le califat fatimide en Egypte au Xème siècle, ce religieux a fait barrage aux tentations des siens, majoritaires, de prendre une revanche, autrement que par les urnes, sur le régime sunnite déchu.
L'ayatollah Sistani, qui n'a accepté de rencontrer que peu de dignitaires étrangers, a été l'avocat inlassable d'élections dans le pays sorti de la dictature.
Il s'est opposé pour cela aux Américains, qui voulaient en 2003 gouverner directement ou par une assemblée désignée, et aux sunnites qui cherchaient à reporter les élections de janvier. Il a usé de son influence pour maîtriser le jeune chef radical Moqtada Sadr tenté par la lutte armée.
Opposant à Bremer
Ayant largement dépassé les 70 ans, ce sayyed qui porte le turban noir des descendants du prophète est né à Machhad, en Iran. A cinq ans, il commence à apprendre le Coran, puis poursuit ses études dans la ville sainte chiite iranienne de Qom. Il s'installe ensuite en 1952 à Najaf, la ville sainte chiite au sud de Bagdad.
Il étudie avec les plus importants maîtres chiites, dont le grand ayatollah Aboul Qassem al-Khoï. A la mort de ce dernier en 1992, il est choisi par ses pairs pour devenir un Marjaa (référence) et devient grand ayatollah.
L'homme, qui vit reclus dans sa maison-bureau proche du mausolée de l'imam Ali à Najaf, l'un des lieux les plus sacrés du chiisme, s'est opposé à l'administrateur civil américain en Irak Paul Bremer.
Il s'est déclaré dans une fatwa (avis religieux) en juin 2003 contre la rédaction d'une Constitution par une assemblée désignée, estimant que des élections devaient se tenir au préalable.
Face à Moqtada Sadr qui voulait en découdre avec les Américains, il s'est dit opposé à toute résistance armée. Avec les autres chiites qui voulaient s'en prendre aux sunnites, qui animent la guérilla, il a toujours rappelé l'interdiction pour un musulman de tuer un musulman.
Refus de la lutte
La barbe grise, le visage sévère, il tombe officiellement malade alors que les combats font rage en août 2004 à Najaf entre la milice de Sadr et l'armée américaine. Il est hospitalisé à Londres et revient deux semaines plus tard au moment où les partisans de Sadr sont encerclés dans le mausolée d'Ali.
Fêté pas ses partisans en traversant le sud chiite, il obtient la reddition du turbulent adversaire. La Marjaïya, la direction religieuse chiite, réunie à son domicile dit son refus de la lutte armée contre les Américains.
Il s'oppose aussi aux sunnites qui souhaitent un report des élections de janvier en raison de l'insécurité et de l'occupation. "La Marjaïya estime qu'un report des élections serait inacceptable", dira un porte-parole des quatre grands ayatollahs d'Irak, dont le premier d'entre eux, l'ayatollah Sistani.
Celui-ci s'inscrit dans la tradition de l'école théologique des chiites irakiens et s'oppose à la théorie du "velayat e-faqih" de l'ayatollah iranien Ruhollah Khomeiny sur la primauté du religieux sur les politiques. Les religieux doivent conseiller, selon lui, sans se mêler de la gestion des affaires publiques.