NOUVELOBS.COM [15 décembre 2005]
Jalal Talabani, premier président kurde de l'histoire moderne de l'Irak et dirigeant de la liste kurde aux prochaines législatives, a réussi son pari de démentir ceux qui décrivent les Kurdes comme des citoyens de "seconde zone".
Ennemi juré du président déchu Saddam Hussein qui a opprimé sa communauté pendant des décennies et gazé son peuple, Jalal Talabani, 72 ans, a été élu en avril chef de l'Etat après avoir consacré une grande partie de sa vie à lutter pour les droits de son ethnie mais aussi contre ses vieux féodaux.
Durant ce mandat expirant avec les législatives du 15 décembre, le dirigeant kurde s'est voulu apaisant avec les Etats voisins dont la Syrie et l'Iran, pourtant honnis par les Etats-Unis qui les accusent d'alimenter la guérilla en Irak. Mais il juge aussi "catastrophique" tout départ prématuré des GI's.
Celui que ses camarades surnomment affectueusement "Oncle Jalal" est né à Kalkan, village perché dans la montagne à 400 km au nord-est de Bagdad, avant de rejoindre très jeune la politique, par admiration pour la figure légendaire du combat nationaliste kurde, Moustafa Barzani.
Petit, le visage rond, un embonpoint certain, il est toujours vêtu d'un costume cravate. Connu pour sa simplicité et son sens de l'humour, il demandait souvent aux journalistes irakiens de lui dire ce que se racontent les gens. Son leitmotiv: "Ma porte est ouverte à tous les Irakiens".
Rupture avec le PDK
Elève à Kirkouk, il rêve à 15 ans de devenir médecin mais opte finalement pour le droit afin de se consacrer à la politique. Sa participation en 1952 à une manifestation anticolonialiste à Bagdad l'oblige à interrompre ses études, avant de les reprendre après la chute de la royauté en 1958.
Il effectue entre-temps son service militaire dans l'artillerie et les blindés. Il rejoint le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), fondé en août 1946, et combat dans les montagnes pendant la première grande révolte kurde de 1961.
Mais lorsque le chef charismatique Barzani signe en février 1964 un accord de paix avec Bagdad ne mentionnant pas l'autonomie du Kurdistan, Jalal Talabani entre en dissidence et part pour l'Iran.
Il voit d'un bon oeil l'arrivée du parti Baas au pouvoir en 1968, mais la lune de miel ne dure pas. Après la violation de l'accord de 1974, Jalal Talabani rompt avec le PDK et annonce en juin 1975 à Damas la formation de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui se veut plus à gauche que son rival.
La rivalité UPK/PDK marquera dès lors la vie politique kurde. Une nouvelle révolte éclate dans les années 1980 et l'homme fort du pays, Saddam Hussein, rasera des centaines de villages et déplacera des populations kurdes dans sa campagne surnommée "Anfal" en 1988.
Tête de liste
Le pire est encore à venir, avec la guerre du Golfe en 1991: l'armée irakienne, défaite par les troupes de la coalition au Koweït, lance une offensive dans le nord en poussant des centaines de milliers de Kurdes à l'exil.
L'intervention des puissances occidentales stoppera l'offensive et permettra aux Kurdes d'instaurer un gouvernement autonome.
Mais la rivalité entre le PDK et l'UPK est latente.
Un conflit armé éclate en 1993: Jalal Talabani use de la force pour casser le monopole du PDK sur la perception des taxes avec la Turquie. En 1996, ils concluent un cessez-le-feu puis un accord de paix en 1998, mais le véritable rapprochement intervient en 2002 alors que l'invasion de l'Irak semble inévitable.
Après le renversement de Saddam Hussein en 2003, Jalal Talabani et Masoud Barzani, devenu en 2005 président du Kurdistan, enterrent la hache de guerre et mènent leur liste à la deuxième position lors des élections de janvier. Pour ces législatives, Jalal Talabani est la tête de liste kurde.
Talabani est marié et père de deux enfants. © Le Nouvel Observateur