Au sixième jour de l’opération turque, Ankara et ses alliés ont pris le contrôle de la ville de Tall Abyad et font le siège de Ras al-Aïn. Ils auraient également conquis une quarantaine de villages dans ce secteur frontalier, premier objectif de cette offensive contre laquelle les Forces démocratiques syriennes (FDS), composée d’une majorité de combattants kurdes associés à des Arabes, ont bien du mal à résister, tant que l’espace aérien n’aura pas été interdit à l’aviation turque.
À Ras al-Aïn, au moins dix civils ont péri dans un raid de l’aviation turque qui a touché un convoi de civils et de journalistes, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Un premier bilan de l’OSDH pour dimanche faisait état de 14 civils tués. «Nous étions dans le convoi de civils kurdes pris pour cible par les forces turques ou leurs alliés à Ras al-Aïn. Notre équipe va bien, mais des confrères sont morts», a annoncé, sur son compte Twitter, une journaliste de France Télévisions, Stéphanie Perez.
Tirant la leçon d’un incident survenu vendredi au cours duquel une position américaine près de la ville d’Aïn Issa a été la cible de tirs turcs, Donald Trump a décidé de retirer «rapidement» 1000 hommes du Nord-Est syrien, c’est-à-dire l’essentiel de la présence américaine dans le secteur. Une décision aux conséquences dramatiques pour leurs alliés kurdes, mais aussi pour les Européens.
Couper en deux le Nord-Est syrien
Car la Turquie n’a pas l’intention de se limiter au contrôle d’une bande de terre frontalière de son territoire. Le ministère de la Défense turc a annoncé que ses hommes avaient pris le contrôle de la route stratégique M4 reliant Manbij (ouest) à Hassaké (est), à plus de trente kilomètres à l’intérieur du territoire syrien. C’est, à ce stade, l’autre objectif de l’offensive turque: couper en deux le Nord-Est syrien et briser les lignes d’approvisionnement des FDS, alliées des Occidentaux contre Daech.
Sur cette même route M4 ont été abattus sommairement durant le week-end deux prisonniers kurdes, l’un d’eux allongé sur la chaussée, les mains ligotées sur la nuque. Leur mise à mort a été filmée par des rebelles. Une très mauvaise publicité pour une opération appelée «Sources de paix», qui a contraint l’«Armée nationale syrienne», alliée de la Turquie dans l’offensive, à publier un communiqué demandant à ses membres de «ne pas piller, voler, ni abuser des prisonniers».
Le fantôme d’un retour des djihadistes, couplé à une menace de nettoyage ethnique antikurde dans le secteur de Tall Abyad, où les Kurdes avaient eux-mêmes été accusés par Amnesty International de nettoyage ethnique anti-arabe en 2015, rôde. Sur une vidéo, on voit un rebelle avancer en cagoule noire portant l’emblème du Front al-Nosra, l’ex-branche syrienne d’al-Qaida. Vendredi déjà, une voiture piégée envoyée par des djihadistes a explosé à Qamishli, principale ville kurde du Nord-Est syrien, et des remous gagnaient plusieurs centres de détention djihadistes. Mais les craintes se sont faites encore plus pressantes ce week-end lorsque, selon des sources kurdes, plus de 750 djihadistes et membres de leurs familles se sont enfuis d’une prison près d’Aïn Issa, après un retrait kurde du secteur. Compte tenu de la détérioration de la situation, la France pourra-t-elle longtemps encore ne pas rapatrier ses djihadistes?
Les autorités kurdes ont annoncé dimanche la fuite de près de 800 membres des familles de djihadistes étrangers du groupe État islamique (EI) d’un camp dans le nord de la Syrie, à proximité de combats opposant forces kurdes et proturques. Selon des sources kurdes, des «cellules dormantes» se sont réveillées dans le camp et les proches des djihadistes ont attaqué leurs gardes, avant de s’éparpiller dans la nature.