Des années Saddam, il a même gardé l'uniforme : un deux-pièces «safari» de couleur olive, qu'il porte fièrement quand il reçoit ses invités étrangers dans sa villa du quartier Mansour. «Je voterai non au référendum sur la Constitution», martèle Isam Kadhem al-Rawi, ancien membre du parti Baas, en sirotant son thé à la menthe. «Notre pays doit garder son unité et son identité arabe. Il a besoin d'un président fort !»Les Arabes sunnites nostalgiques de l'ancien régime de Saddam Hussein se réveillent
A l'heure où chaque composante de la mosaïque irakienne revendique sa couleur ethnique, culturelle et religieuse, ce professeur de géologie de confession sunnite dresse le drapeau du nationalisme irakien. A la chute du régime, il a préféré rester discret. Plusieurs de ses proches ont fui l'Irak. D'autres ont été assassinés. En janvier dernier, lui et ses amis ont boycotté les élections, «pour s'opposer à l'occupation du pays par les troupes américaines et l'arrivée au pouvoir d'exilés irakiens». Mais, après de longs mois de silence, Isam et de nombreux arabes sunnites nostalgiques de l'ancien régime se réveillent. «La rue va exploser», menaçait ce week-end Salah Mutlak, membre du Conseil de dialogue national sunnite et farouche opposant au fédéralisme, qui «divisera l'Irak».
La ville de Baqouba, à soixante kilomètres au nord-est de Bagdad, en a offert un avant-goût en fin de semaine dernière. Vendredi, jour chômé, des milliers de manifestants ont arpenté les rues de cette cité du triangle sunnite, à coups de slogans à la gloire du président déchu, actuellement prisonnier des forces américaines. «Bush, Bush, écoute bien ! Nous aimons tous Saddam Hussein», ont-ils scandé à tue-tête en arborant des portraits de l'ancien raïs. «Non à une Constitution qui démantèle l'Irak», affichaient leurs banderoles.
Leur crainte : perdre à jamais les acquis du passé. Pendant des années, le parti Baas a trouvé ses appuis parmi les membres de la communauté sunnite. Minoritaires en nombre – ils représentent 20% de la population – ils avaient l'habitude d'occuper la majorité des postes gouvernementaux. Aujourd'hui, ils ont du mal à accepter le fait d'être dirigés par un président kurde et un premier ministre chiite, dont ils disent se méfier. «Les Kurdes n'ont qu'une idée en tête : l'indépendance et la conquête des villes du Nord, Kirkouk et Mossoul», clame Isam Kadhem al-Rawi. «Quant aux membres du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII) – un des principaux partis chiites qui siègent au sein du Parlement – ce sont tous des agents à la solde de la république islamique d'Iran», ajoute-t-il.
Ses réserves à l'égard de la nouvelle loi fondamentale sont nombreuses. Pour lui, «les Irakiens devraient être fiers de leur identité arabe, au lieu de la rejeter». Et de citer en exemple le premier chapitre qui stipule que «l'Irak fait partie du monde musulman», mais dont seul le «peuple arabe fait partie de la nation arabe». Victimes de la politique d'arabisation de Saddam Hussein, torturés et déportés en masse, les membres de la minorité kurde sont les principaux instigateurs de cette formule qui, disent-ils, évitera de reproduire les crimes du passé. «Un scandale !», s'émeut Isam Kadhem al-Rawi, en refusant de comprendre les blessures du passé. Il aurait préféré, également, une Constitution qui interdit la double nationalité et refuse l'idée d'exclure les anciens membres du parti Baas des postes à responsabilité.
Dans les rues de la capitale, les nombreux posters diffusés par le comité de rédaction de la Constitution cherchent à rassurer ses opposants. «Notre pays, notre nation, notre Constitution», affiche l'un d'entre eux. Un peu plus loin, on peut lire en couleurs : «La Constitution unit les Irakiens et garantit leurs droits» ou encore : «Notre constitution est notre tente.» Des milliers de copies du texte constitutionnel devraient également être distribuées, dans les jours à venir, à travers les foyers irakiens. Mais, dans certains quartiers à dominante sunnite, les habitants ont déjà fait leur choix. «Je m'oppose à une Constitution rédigée par les chiites et les Kurdes», enrage Omar al-Rachid, 32 ans, originaire de Adhamia, où se trouve la maison de son père, un ancien général. «Il n'y a que Saddam qui peut défendre nos droits», dit-il. «Imaginez : le Nord aux Kurdes, le Sud aux chiites et le Centre aux Sunnites ! C'est la division de l'Irak... La résistance ne va pas rester muette !», prévient Isam Kadhem al-Rawi. Pour lui, «la guerre civile est déclarée».