Diyarbakir : Marie Michèle Martinet [Le Figaro - 27 août 2005]
Tandis que les tensions deviennent perceptibles, en Turquie, entre les partisans de la manière forte prônée par l'armée contre le PKK et les adeptes du dialogue dont le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, s'est fait le héraut, les intellectuels engagés dans le débat paraissent particulièrement exposés.Avant de se rendre à Diyarbakir, le 12 août, le chef du gouvernement avait tenu à consulter un certain nombre d'entre eux. Au retour de son voyage, après avoir affirmé que seule la démocratie pourrait venir à bout de la violence dans le Sud-Est du pays, il avait reçu l'approbation d'une cinquantaine de célébrités littéraires et artistiques kurdes, favorables à cette initiative politique en faveur de la démocratie.
Ce genre de prise de position n'est pas sans risques. Selon l'ancien député kurde Sedat Yurtdas, il est dangereux de se dissocier clairement du courant politique majoritaire kurde. Il considère que la mort de son ami Hikmet Fidan, éliminé en juin par le PKK pour avoir refusé de se joindre au nouveau mouvement récemment par Leyla Zana, est un «assassinat politique».
Craignant pour sa vie, l'écrivain kurde Mehmet Uzun vient d'annoncer qu'il quittait le pays. «Dans un pays comme la Turquie, où se produisent continuellement des meurtres politiques, on ne place jamais dans la ligne de mire le nom d'un auteur connu sans raison sérieuse», a-t-il expliqué, faisant référence à un article publié par l'hebdomadaire turc Aksiyon. Selon cet article, Mehmet Uzun figurerait en tête d'une liste de 250 intellectuels à abattre, établie par les séparatistes du PKK.
Tout en émettant de sérieuses réserves quant à la neutralité du magazine Aksiyon, qu'il qualifie de «revue islamiste, nationaliste et entretenant des liens avec les forces de sécurité», l'écrivain a cependant jugé préférable de se rendre avec sa famille en Suède où il a déjà vécu vingt-huit ans d'exil politique. Il a souvent critiqué l'attitude d'Ankara vis-à-vis de la minorité kurde de Turquie, tout en condamnant franchement les violences perpétrées par le PKK.
Après avoir échappé de justesse à une tentative d'assassinat en 1994, Yavuz Binbay a lui aussi connu l'exil. Il avait finalement renoncé à son statut de réfugié en Suisse pour revenir à Diyarbakir, où il a rejoint l'Association turque des droits de l'homme (IHD) dont il avait longtemps été le vice-président. Mais aujourd'hui, Yavuz Binbay s'est retiré de l'IHD. Comme vient aussi de le faire l'écrivain Adalet Agaoglu, en critiquant l'ambiguïté de ses positions vis-à-vis du PKK. «Je crois que les ONG devraient se garder de tout engagement partisan», affirme Yavuz Binbay. «Malheureusement, j'observe qu'elles sont souvent manipulées. J'ai moi-même subi certaines manipulations et j'ai dû défendre ma neutralité. Et lorsqu'on me demande ce que je pense de la rupture du cessez-le-feu décidée l'an dernier par le PKK ou de la trêve annoncée récemment, je réponds invariablement : rien. Là n'est pas mon combat.»