Peuplement kurde
Carte de zones de peuplement kurde et du Kurdistan irakien autonome | Le Monde
Lemonde.fr | Guillaume Perrier (Istanbul, correspondance)
Un embryon d'Etat kurde est-il en train de naître de la guerre civile syrienne ? C'est la question qui préoccupe ces jours-ci la Turquie voisine.
Profitant de l'affaiblissement des forces de Bachar Al-Assad, des miliciens kurdes affiliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont pris possession de plusieurs villes du nord de la Syrie depuis jeudi 19 juillet. Sans qu'un coup de feu soit tiré, le drapeau kurde et les emblèmes de la guérilla marxiste-léniniste fondée par Abdullah Ocalan ont été hissés sur les bâtiments officiels à Ayn Al-Arab, ville frontalière de la province d'Alep, qui a repris son nom kurde de Kobani après le retrait de l'arméerestée loyale au président syrien.
Dans la foulée, le mouvement s'est propagé à toute la région : depuis Efrin, au nord d'Alep, jusqu'à Derik (Al-Malikiyah), à la frontière irakienne, en passant par Amudah et Darbasiyah, les Kurdes célèbrent "la libération du Kurdistan occidental" et déboulonnent les portraits de la famille Assad.
En revanche, les troupes de Damas contrôlent toujours Qamishli, sur la frontière, où, pour la première fois depuis le début de l'insurrection, des accrochages ont été signalés avec les comités de défense kurdes, samedi, après une manifestation antirégime, faisant au moins un mort et plusieurs blessés.
"Tous les Kurdes attendent la libération de Qamishli, la plus grande ville kurde de Syrie, considérée comme la capitale administrative et politique. Alors seulement, nous pourrons sentir le vent de la liberté au Kurdistan", estime Sherzad Yezidi, un membre du Parti de l'union démocratique (PYD), la filiale syrienne du PKK et principale force politique kurde syrienne. Ce pourrait être une question de jours. Vendredi, l'Union des comités de coordination kurdes a ordonné le départ de toutes les forces syriennes de la région. "Sinon, elles seront forcées à partir."
Jusqu'ici, la région s'était tenue en retrait de la vague de soulèvements, hormis quelques manifestations sporadiques. Prenant ses distances avec les autorités de Damas comme avec la rébellion, jugée trop proche des pays du Golfe et de la Turquie, la minorité kurde était en position d'attente.
Le régime de Bachar Al-Assad, lui, a tenté de jouer cette carte contre son voisin turc : l'une de ses premières mesures fut d'accorder la nationalité syrienne à 300 000 Kurdes privés de leurs droits depuis quarante ans et d'autoriser le chef du PYD, Salih Muslim, à rentrer d'exil. En dix-huit mois, environ 600 prisonniers politiques du PYD ont été libérés de prison et plusieurs milliers de combattants du PKK, retranchés dans le nord de l'Irak, auraient trouvé refuge côté syrien, faisant craindre à la Turquie qu'un nouveau sanctuaire ne se constitue à sa frontière.
En retour, le PKK et sa filiale ont servi de rempart contre la progression sur le terrain de l'Armée syrienne libre (ASL). Celle-ci a été repoussée après avoir tenté d'entrer dans Efrin, le bastion politique du PYD, il y a quelques jours. Même scénario à Ayn Al-Arab. "Les Kurdes ont leurs propres forces et n'ont pas besoin de combattants arabes ou d'hommes venus de l'étranger", lance un membre du PYD.
Les combattants kurdes tiennent plus de 200 barrages routiers au nord et à l'est d'Alep, constituant un véritable verrou autour de la deuxième ville du pays. Nombre de points de passage le long de la frontière turque sont également sous son contrôle, ce qui a longtemps ralenti l'acheminement d'armes à destination de la rébellion.
Mais le changement d'attitude de la principale force kurde fait suite à la tenue, début juillet, à Erbil, au Kurdistan irakien, d'une conférence réunissant tous les partis kurdes syriens. Sponsorisée par le principal responsable de la région autonome d'Irak, Massoud Barzani, cette rencontre a débouché sur un accord entre le PYD et la douzaine de partis kurdes réunis dans le Conseil national kurde, favorable au renversement du régime de Damas. Une intervention décisive.
L'armée turque a renforcé son dispositif le long de la frontière syrienne avec l'envoi, dimanche, de batteries de missiles sol-air et de véhicules de transport de troupes à Mardin (sud-est), a rapporté dimanche 22 juillet l'agence de presse Anatolie. Un convoi ferroviaire transportant plusieurs batteries de missiles antiaériens et de véhicules de transport de troupes est arrivé à la gare de Mardin, placée pour l'occasion sous haute surveillance, a affirmé Anatolie. Le convoi comprenait au moins cinq véhicules équipés de missiles antiaériens, selon des images diffusées par la chaîne NTV. - (AFP.)