Avec l'accord des chefs kurdes, les partisans de l'indépendance ont organisé une consultation des électeurs de leur région dimanche. Vive réaction turque.
En assurant qu’il espérait bien voir les Kurdes bénéficier de leur propre Etat «de son vivant», le chef kurde Massoud Barzani a mis dimanche les pieds dans le plat dès la fin du scrutin! Barzani a poursuivi en mettant les points sur les i à propos de Kirkouk, la capitale pétrolière du nord de l’Irak: «Kirkouk est une ville irakienne, Kirkouk est une ville kurde (...). Et ni la Turquie ni quelque autre pays que ce soit n’ont le droit de dire quoi que ce soit à propos de Kirkouk, ou de toute autre ville d’irak.» Autant de déclarations qui, si elles n’ont rien de neuf sur le fond, ont immédiatement fait rugir Ankara.Le ministre des Affaires étrangères, Abdulah Gul, ripostait aussitôt hier en affirmant que les Kurdes installent en fait dans la capitale pétrolière du nord de l’Irak des familles qui n’ont rien à y faire et ne font pas partie des personnes expulsées ces dernières décennies par le régime de Saddam Hussein. Ils cherchent ainsi à «contrôler la ville», affirme Gul qui martèle que la Turquie ne restera pas sans réagir, et n’hésitera pas à voler au secours des «frères turcomans», qui convoitent Kirkouk, eux aussi.
Pétition remarquée
Barzani et Talabani, les deux chefs kurdes, ont laissé ces derniers mois la voie libre aux partisans kurdes de l’indépendance. «Voulez-vous rester au sein de l’Irak ou préférez-vous un Kurdistan indépendant?»: un scrutin parallèle était organisé dimanche, en même temps que le vote pour l’élection du Parlement régional kurde et de l’assemblée provisoire d’Ankara. Les électeurs n’avaient qu’à répondre à cette question et à remettre leur troisième bulletin de la journée, dans les urnes disposées par les militants du «Mouvement pour un référendum au Kurdistan» (MRK), installés avec leurs tentes, à proximité des bureaux de vote officiels.
Une pétition pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination a circulé ces derniers mois chez les Kurdes. Elle a recueilli plus de 1,5 million de signatures, permettant aux animateurs du MRK de se faire connaître de leurs compatriotes. Leur projet est ambitieux. «Comme les autres nations du monde, nous voulons notre indépendance.» S’ils concentrent leurs efforts aujourd’hui sur le «Kurdistan Sud», la partie nord de l’Irak, leur but est de populariser la revendication d’un Kurdistan autonome qui regrouperait également les Kurdes d’Iran, de Turquie et de Syrie. A la différence des mouvements kurdes traditionnels, qui se sont fondés sur la lutte armée et la guérilla, ils basent leur action sur l’action non violente et s’appuient sur tous les moyens légitimes d’organisation, d’éducation, de propagande et de lobbying pour arriver à leur fin et obtenir l’organisation de référendum d’autodétermination dans les régions kurdes.
Les chefs kurdes ont choisi de chevaucher le mouvement qui ne les met pas directement en cause et renforce en fin de compte leurs propres exigences à l’égard de Bagdad.
Plus le pourcentage d’électeurs kurdes qui ont voté pour l’indépendance dimanche sera grand, et mieux Barzani et Talabani pourront appuyer leurs exigences à Bagdad, en ce qui concerne la préservation de leurs pouvoirs régionaux et le respect de l’autonomie de leur région. Un marché qui irrite profondément les voisins de l’Irak, ou vivent des millions de Kurdes, la Turquie au premier rang.
MICHEL VERRIER