Les Kurdes ne parviennent pas à réunir leur parlement

[08/05/2005 - Rfi - De notre envoyé spécial au Kurdistan irakien]
Le parlement kurde élu le 30 janvier ne s’est toujours pas réuni. Les deux principaux partis, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un certain nombre de points, notamment la durée du mandat du premier président régional.Tout était prêt pour l’inauguration en grande pompe du nouveau parlement kurde élu en même temps que la nouvelle assemblée de Bagdad le 30 janvier dernier. L’immeuble du parlement d’Erbil avait été nettoyé de fond en comble, et des étiquettes numérotées indiquaient sur le dossier de chaque siège la place des 111 nouveaux députés. Des invitations avaient été lancées, les ambassadeurs d’une dizaine de pays représentés à Bagdad avaient été invités, ainsi que des personnalités étrangères et des politiciens kurdes de Turquie, d’Iran et de la diaspora.

Au programme, la prestation de serment des nouveaux députés. Le parlement devait ensuite élire son président, Adnan Mufti, membre du bureau politique de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), ainsi que son vice-président, Kemal Kirkouki, membre du bureau politique du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), et charger Nechirvan Barzani, neveu de Massoud Barzani, de former le nouveau gouvernement, réunifiant les deux administrations kurdes gérées par le PDK et l’UPK. Le parlement devait aussi approuver la loi sur les pouvoirs du président de la région kurde. Tout était convenu dans le cadre d’un accord conclu en décembre 2004 entre les dirigeants du PDK de Massoud Barzani et de l’UPK de Jelal Talabani, accord qui scellait la réconciliation entre les deux partis, et permettait à Jelal Talabani d’être le candidat unique des Kurdes à la présidence de la République d’Irak.

Tout était arrangé, tout était prêt... Mais c’était sans compter sur les Kurdes et leur goût pour les coups de théâtre de dernière minute et les comportements suicidaires. On apprenait deux jours avant la session inaugurale du parlement que certains problèmes risquaient de retarder son ouverture. Et effectivement, le 30 avril au matin, les invités étaient informés que l’inauguration n’aurait pas lieu avant «quelque temps».
De nouvelles revendications

Que s’était-il passé? Apparemment, selon les responsables du PDK, les dirigeants de l’UPK sont revenus sur l’accord conclu... un accord résumé en un texte de quelques lignes ... qui concerne en particulier la durée du mandat du président de la région kurde, poste qui doit échoir à Massoud Barzani. Selon le PDK, il était convenu qu’il serait élu par la population kurde, pour un mandat de 4 ans, renouvelable deux fois. L’UPK demanderait maintenant que le président de la région kurde soit élu par le parlement, et d’abord pour une période transitoire de 8 mois -comme c’est le cas pour la présidence et le gouvernement de Bagdad. Par ailleurs, l’UPK refuserait d’unifier immédiatement 4 ministères «sensibles» (finances, intérieur, pechmergas et justice). Et enfin l’UPK demanderait la création d’un poste de vice-président de la région kurde, qu’elle choisirait.

«L'accord conclu entre nous et l’UPK forme un tout», a déclaré un membre du bureau politique du PDK aux invités quelque peu surpris par le cours des évènements, «Jelal Talabani a été élu président de la République d’Irak, et Massoud Barzani doit être élu président de la région kurde. Et la stabilité de la situation au Kurdistan nous permet d’élire le président pour 4 ans. Pourquoi est-ce que nous nous alignerions sur le calendrier politique de Bagdad, pourquoi est-ce que nous devrions élire notre président pour un mandat de quelques mois?»

Saadi Pira, représentant de l’UPK à Erbil, affirme que l’UPK a été mise devant le fait accompli quelques jours avant la réunion du parlement, et que le PDK avait modifié le texte de la loi sur les pouvoirs du président de la région kurde, pour donner des pouvoirs exorbitants au futur président: «Nous ne mettons pas en cause la personnalité de Massoud Barzani, mais nous voulons un système parlementaire, qui donne de vrais pouvoirs au Premier ministre et au président du parlement, pas un système présidentiel», déclare Saadi Pira. Et Saadi Pira de critiquer les pouvoirs du président de la région kurde (version PDK) sur les forces armées kurdes: «Nous ne sommes pas un pays à l’intérieur d’un autre pays, nous ne devons pas provoquer nos voisins! Et est-ce que les chiites vont accepter cela?»

Adnan Mufti, futur président du parlement kurde, si les deux partis parviennent à résoudre leur différend, a une position plus nuancée, affirmant que les dirigeants des deux partis étaient accaparés par la formation du gouvernement à Bagdad, et ont réalisé trop tard l’ampleur de leur désaccord.

Plusieurs signes avaient annoncé une détérioration des relations entre les deux partis qu’oppose une rivalité historique. Lors des élections pour les assemblées provinciales (gouvernorats) du 30 Janvier, pour lesquelles ils avaient présenté des listes distinctes, les deux partis s’étaient accusés mutuellement d’avoir bourré les urnes ou empêché leurs partisans de voter... Mais ce sont surtout les débordements qui ont marqué les manifestations de joie après l’annonce officielle de la nomination de Jelal Talabani à la présidence de la République qui ont indiqué que les relations entre les deux partis se tendaient dangereusement: plusieurs dizaines de partisans de l’UPK ont été agressés par des partisans du PDK à Erbil et dans la région de Soran contrôlée par le PDK, et un certain nombre d’entre eux ont été brièvement emprisonnés avant d’être relâchés sur l’intervention de Massoud Barzani.

En fait, cette tension entre le PDK et l’UPK est aggravée par une crise interne au sein de l’UPK: plusieurs «éléphants» de ce parti, et notamment Nour Shirouane et Kosrat Rassoul, acceptent difficilement l’accord conclu entre Massoud Barzani et Jelal Talabani, reprochant à ce dernier d’avoir «bradé» les intérêts de son parti pour accéder à la présidence de l’Irak. Par ailleurs, ces deux partis ont une vision différente de l’avenir, l’UPK, plus «irakiste», jouant à fond la carte de la construction du «nouvel Irak» avec ses partenaires arabes, alors que le PDK, plus «kurdistanais», envisage plus volontiers la séparation et la solution de l’indépendance de facto dans un premier temps, dans un Irak confédéral en proie au chaos.

Ecoeurée par l’incapacité de ses dirigeants à parvenir à un accord à un moment aussi crucial, la population kurde les juge très sévèrement: «Si cela continue, nos dirigeants finiront comme Saddam, dans une cave. Personne ne lèvera le petit doigt pour prendre leur défense», dit un intellectuel kurde qui ne cache pas son désespoir.

Chris Kutschera
Article publié le 08/05/2005
Dernière mise à jour le 08/05/2005 à 13:12 (heure de Paris)