Les Kurdes retrouvent l'Assemblée nationale turque


Actualité International
Istanbul - LAURE MARCHAND
4 août 2007

Ils siégeront aux côtés des ultranationalistes qui réclament le rétablissement de la peine de mort pour leur leader, Öcalan.


Élu à l'Assemblée, Ahmet Türk, un des leaders prokurdes, n'a pas été reçu par le président de la République turque, contrairement aux autres chefs de parti. AP.

TREIZE ans après leur éviction de la Grande Assemblée nationale turque, les députés prokurdes doivent effectuer leur grand retour sur la scène politique nationale, aujourd'hui, lors de la cérémonie d'investiture du nouveau Parlement. Vingt représentants du DTP (Parti pour une société démocratique) ont été élus le 22 juillet, en se présentant comme « indépendants » pour contourner le barrage national de 10 % des voix, le taux plancher pour entrer au Parlement.

 
Un résultat qui « sonne comme une revanche » avait estimé, le soir des élections, l'un des leaders du DTP, Ahmet Türk, lui-même élu. Les parlementaires des partis kurdes ont une histoire tumultueuse avec l'assemblée : en 1991, un bandeau jaune, vert et rouge, aux couleurs du Kurdistan, dans les cheveux, Leyla Zana, élue député, prêtait serment en langue kurde à la tribune. Tout un symbole, en pleine guerre civile. Un défi inacceptable pour les autorités turques. En 1994, l'égérie de la cause kurde et ses compagnons de route, privés de leur immunité parlementaire, étaient condamnés à des peines allant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement pour « appartenance à une organisation illégale », c'est-à-dire aux séparatistes du PKK.
 
Cette fois-ci, la tâche des élus du DTP, accusés par Ankara d'être la vitrine politique du PKK, va encore s'avérer ardue. Leur retour a lieu sur fond de guerre larvée entre l'armée et les rebelles kurdes dans le sud-est du pays. Mercredi et jeudi, trois soldats et huit maquisards ont été tués dans deux nouveaux accrochages. « Le Parlement peut aussi bien se transformer en champ de bataille à coup de slogans ethnico-nationalistes que devenir un immense espace de conciliation », résumait Bülent Kenes, éditorialiste du quotidien conservateur Zaman. Le groupe du DTP se compose entre autres de deux des avocats d'Abdullah Öcalan, le leader kurde emprisonné à vie sur l'île d'Imrali, et de Sebahat Tuncel, en détention provisoire pour son affiliation supposée au PK et libéré grâce à l'immunité parlementaire que lui procure son élection.
 
Provocations et vexations
 
Dans les travées, ces élus du DTP feront face à leurs ennemis traditionnels de l'extrême droite (MHP, Parti de l'action nationaliste). « Nous n'avons pas l'intention de sortir nos épées », a assuré Ahmet Türk. Il n'est pas certain que les ultranationalistes entendent cet appel à la trêve : tout au long de leur campagne, les 70 députés du MHP ont réclamé le rétablissement de la peine de mort pour pendre Öcalan et une intervention militaire dans le nord de l'Irak contre les rebelles kurdes.
 
Les bisbilles politiques ont déjà commencé. Le président de la République Ahmet Necdet Sezer, proche de l'armée, a félicité l'ensemble des chefs des partis qui seront représentés à l'assemblée, mais il a refusé de recevoir Ahmet Türk. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan veut, lui, les réunir tous ensemble sur une photo de famille. Cette fois-ci, c'est Devlet Bahceli, le leader du MHP, qui ne veut pas poser aux côtés du « terroriste » Ahmet Türk. Les députés du DTP, eux, se sont déjà distingués en critiquant l'interdiction qui leur est faite de rendre visite aux prisonniers politiques, donc à Öcalan, sauf à siéger dans les commissions ad hoc. Et lors du remplissage des formulaires d'inscription, ils ont inscrit le turc dans la case « langues étrangères connues ».
 
En dépit de ce contexte houleux, le député Hasip Kaplan explique que la mission prioritaire du DTP sera de « faire taire les armes » et de travailler ensemble « pour toute la Turquie ». Mais cette déclaration de bonnes intentions risque d'être mise à mal par l'exigence du premier ministre. Malgré son ouverture d'esprit sur le problème kurde, il leur demande en préalable de reconnaître le PKK comme une organisation terroriste (comme l'ont fait l'Union européenne et les États-Unis). Un reniement impossible.
 
Leur marge de manoeuvre est d'autant plus réduite qu'elle se heurte, de l'autre côté, aux directives du PKK. « Ils sont sous la pression à la fois d'Imrali, de Kandil (la montagne dans le nord de l'Irak qui sert de base arrière aux combattants, NDLR), des représentants du PKK en Turquie et en Europe, décrypte Mehmet Ali Birand, spécialiste de la question kurde. Ils ne sont pas autorisés à mener une politique d'envergure pour résoudre le conflit. Et le PKK serait ravi de leur échec politique : il tiendrait une formidable excuse pour justifier les affrontements. »
 
Pourtant le DTP doit rénover sa politique pour éviter une marginalisation, dépasser les revendications idéologiques pour faire une place aux préoccupations quotidiennes de son électorat traditionnel.
 
Le 22 juillet, le Parti de la justice et du développement (AKP) d'Erdogan lui a damé le pion sur ses propres terres, dans l'est du pays. En partie parce que les habitants de ces régions ont voté AKP pour faire barrage à une coalition de nationalistes antikurdes et va-t-en-guerre en Irak. Mais également, comme le souligne Ali Fuat Bucak, un avocat d'origine kurde de la ville d'Urfa, près de la frontière syrienne, parce qu'« ils ont constaté l'efficacité avec laquelle les mairies, remportées par l'AKP, gèrent les services municipaux. Alors que le programme politique du DTP, lui, reste flou. »