Pascal LOROT
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Lenouveleconomiste.fr | Faits révélateurs, par Pascal Lorot
Les deux Etats où les Kurdes connaissent les plus graves atteintes à leur identité demeurent la Turquie et la Syrie
Peuple indo-européen installé dans les confins de la Turquie, de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran, les Kurdes regroupent quelque 30 millions d’individus. Leur présence au cœur des montagnes aujourd’hui turques et des marches mésopotamiennes est attestée bien avant les invasions arabes et, clairement, avant les migrations turco-mongoles entamées à partir du XIIe siècle de notre ère. Autant le dire tout net, les Kurdes étaient présents bien avant ceux qui aujourd’hui les oppriment.
Ce peuple chercha bien sûr, à moult reprises, les voies de son indépendance. Plusieurs royaumes kurdes ont laissé des traces dans l’histoire mais ce fut dans les temps reculés. Sur les périodes moderne et contemporaine, comme bien d’autres peuples, les Kurdes se fondirent dans leur majorité dans l’Empire ottoman, une autre partie, plus modeste, dans l’Empire perse. Des révoltes eurent lieu, émergea aussi le projet d’un “grand Kurdistan” à la fin du XIXe siècle, le tout sans conséquence.
Lors du démantèlement de la Sublime Porte, à l’issue de la Première Guerre mondiale, les grandes puissances prirent conscience de la réalité kurde. En 1920, le traité de Sèvres évoqua ainsi la création d’un Etat kurde. Cependant, le rêve d’une nation kurde libre, récusé par Mustafa Kemal, fut enterré en 1923 lors du traité de Lausanne signé par la toute nouvelle République turque. Voilà pour l’Histoire.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Au-delà de la rhétorique idéologique propre à quelques partis kurdes extrémistes appelant à la création d’un Kurdistan à cheval sur les principaux Etats du Moyen-Orient, la stratégie poursuivie aujourd’hui par les différentes communautés kurdes est d’obtenir le plus d’autonomie au sein des Etats dans lesquels elles vivent. Le modèle le plus achevé en ce sens se trouve sans doute en Irak.
Traqués par Saddam Hussein, les Kurdes d’Irak (près de 6â��millions d’individus, soit un quart de la population du pays) bénéficient désormais d’une région autonome, garantie par la nouvelle Constitution, où ils bénéficient de droits politiques et culturels véritables. De son côté, l’Iran reconnaît constitutionnellement aux Kurdes leur langue – qui peut être parlée librement – et leur statut de minorité (8 millions de locuteurs, soit près de 12â��% de la population de l’Iran), sans pour autant, il est vrai, leur accorder de gouvernement autonome ou d’administration propre.
Les deux Etats où les Kurdes connaissent les plus graves atteintes à leur identité demeurent la Turquie et la Syrie. Dans ce dernier pays, les choses semblent cependant évoluer. Contesté par son peuple, critiqué par la Ligue arabe et par la Communauté internationale, Bachar el-Assad a laissé récemment rentrer d’exil le leader du Parti de l’union démocratique (PYD).
Celui-ci a entrepris d’organiser une entité autonome propre dans le nord du pays où vit la majorité des 1,9 million de Kurdes de Syrie (9â��% de la population du pays). Avec la bénédiction de Damas, à la recherche d’alliés intérieurs mais qui voit aussi dans cette “tolérance” une réponse à l’hostilité croissante d’Ankara à son égard…
C’est finalement dans la très moderniste Turquie que les Kurdes sont victimes de la plus forte discrimination. Les 15 millions de Kurdes (20â��% de la population turque) y font face à un déni de réalité. Rien ne justifie le terrorisme et les actions sanglantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – essentiellement entre 1984 et 1999 – sont pour beaucoup dans l’hostilité de la classe politique turque à l’égard du peuple kurde.
Il n’en demeure pas moins que l’ostracisme que subit le peuple kurde remonte à la création de la Turquie moderne. Neuf décennies après sa fondation, la culture kurde demeure encore niée, la langue kurde n’est pas enseignée à l’école publique et les citoyens turcs d’origine kurde n’ont toujours pas les mêmes droits que le reste de la population, ainsi que l’a reconnu le président turc Abdullah Gül en 2009.
Opprimé, oppressé dans l’expression de sa langue et de sa culture, confiné aussi dans des frontières qui ne sont pas vraiment les siennes et qu’il ne reconnaît pas, le peuple kurde aspire lui aussi aujourd’hui à la liberté et à la reconnaissance. Alors même que l’on se félicite du renversement des dictatures et de l’émancipation des peuples arabes, ne serait-il pas temps de se pencher sur une injustice flagrante et d’accompagner, pacifiquement, le peuple kurde vers une reconnaissance de ses droits culturels et sociaux ?