A. J. - [16 décembre 2005]
Sur la scène politique irakienne, le vote des Kurdes est devenu un événement parallèle. Cette ethnie d'origine perse des provinces montagneuses du nord-est de l'Irak a en effet de nouveau porté ses suffrages sur la liste de l'Alliance kurde, formée par le Parti démocratique du Kurdistan et l'Union patriotique du Kurdistan. Cette coalition regroupe les deux plus grands partis kurdes, dirigés par les anciens «frères ennemis», Jalal Talabani, président de l'Irak fédéral, et Massoud Barzani, qui dirige la région semi-autonome du Kurdistan irakien.
Alors que, dans les régions arabes, chiites et sunnites se sont mobilisés hier pour se disputer le pouvoir par les urnes, les Kurdes se sont rendus aux urnes pour un objectif bien différent : conforter l'autonomie de leurs provinces, établie de fait, grâce à la protection de l'aviation américaine, dès le lendemain de la première guerre du Golfe en 1991.Alliances de circonstance
Dans l'Assemblée constituante irakienne élue en janvier 2005, les Kurdes avaient obtenu 75 sièges sur 275, devenant ainsi le deuxième groupe parlementaire du pays, alors qu'ils ne représentent que 20% des 27 millions d'Irakiens. Alliés de circonstance des chiites, les Kurdes votaient à nouveau hier pour maintenir les garanties offertes par la nouvelle Constitution fédérale, adoptée par référendum le 15 octobre et qui permet à des provinces de s'associer pour former des régions autogérées.
L'autre priorité des Kurdes est d'obtenir le rattachement à leur région de la ville de Kirkouk. Cette importante capitale régionale du nord de l'Irak, au centre d'une région riche en champs pétrolifères, est historiquement peuplée de Kurdes. Mais les communautés turcomanes et arabes, installées dans la région par Saddam Hussein, disputent aux Kurdes le contrôle de cette riche région.
Privés de l'Etat qui leur avait été promis par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale lors de la signature du traité de Sèvres en 1920, les Kurdes ont été rattachés en 1922 au nouveau pays né du découpage franco-britannique de l'Empire ottoman : l'Irak. Les répressions successives subies par les Kurdes de la part des gouvernements irakiens successifs ont culminé avec les campagnes lancées par Saddam Hussein à la fin des années 80 et dans les mois qui ont suivi la guerre du Golfe en 1991. Elles ont achevé de détourner les Kurdes de tout esprit d'appartenance à l'Irak. Protégés pendant douze ans par la diplomatie américaine et son bras armé de l'US Air Force, les Kurdes vivent de façon quasi autonome.
Préservés dans leurs provinces montagneuses de la quasi-guerre civile qui déchire l'Irak depuis la chute de Saddam Hussein, les électeurs ont voté hier en masse pour envoyer leurs députés siéger au Parlement irakien. Mais leurs projets politiques ne sont déjà plus à Bagdad.