«Ces jours-ci, c’est à Afrine, au nord-ouest de la Syrie, que l’horreur contre les Kurdes s’est déplacée. Sans aucun droit, sans avoir été attaquée, l’armée turque a traversé la frontière avec la Syrie pour liquider les militaires kurdes qui s’y trouvent et qui encadrent la population», décrit l'auteur. Photo: Delil Souleiman Agence France-Presse
ledevoir.com | André Poupart | 1 février 2018
J’ai eu le privilège d’être invité au Kurdistan d’Irak à six reprises pour des séjours plus ou moins prolongés à titre de conseiller, de professeur et de conférencier. La première fois en passant par la Syrie et en traversant le Tigre dans une barque (type chaloupe Verchère) ; ensuite, à travers la Turquie, de Diyarbakir à Barbour, le poste-frontière ; et enfin, directement d’Europe à Erbil, au Kurdistan, par avion Airbus.
J’ai eu le privilège d’être invité au Kurdistan d’Irak à six reprises pour des séjours plus ou moins prolongés à titre de conseiller, de professeur et de conférencier. La première fois en passant par la Syrie et en traversant le Tigre dans une barque (type chaloupe Verchère) ; ensuite, à travers la Turquie, de Diyarbakir à Barbour, le poste-frontière ; et enfin, directement d’Europe à Erbil, au Kurdistan, par avion Airbus.
J’ai été témoin de la transformation et de la modernisation du Kurdistan : du plus évident (amélioration du réseau routier, transformation du parc immobilier privé et public, construction d’un aéroport international et développement des services connexes) au plus fondamental (constitution d’une assemblée nationale multipartite, de nouvelles universités de meilleure qualité et accessibles, d’un système de santé adéquat). Tout était encore loin d’être parfait au moment où le prix du pétrole s’est effondré, perdant la moitié de sa valeur et privant le Kurdistan des ressources nécessaires à la poursuite de sa modernisation. Mais la crise a été gérée.
C’est dans ce contexte que les Kurdes ont été les premiers à affronter les forces militaires du groupe État islamique (Daesh) et à accueillir des centaines de milliers de réfugiés (sunnites, chrétiens, yézidis) qui essayaient simplement de survivre dans un chaos invraisemblable. Il n’y a pas de témoignage plus significatif de la qualité et de la réussite du projet kurde que l’arrivée de ces centaines de milliers de réfugiés irakiens (y compris le gouverneur de la province de Mossoul) qui ont choisi Erbil plutôt que Bagdad pour protéger leur vie et défendre leurs droits.
L’Occident a été très heureux que plus de meurtres, de viols et d’atrocités soient ainsi évités. L’Occident — ses chaînes de télévision, ses journalistes, ses porte-parole politiques — a sans cesse rendu hommage au courage des peshmergas qui ont affronté, au sol, au prix de milliers de morts, les combattants du groupe EI qui avaient fait fuir les armées syrienne et irakienne.
Autre solution possible
Aujourd’hui, ceux qui se sont sacrifiés pour la défense des valeurs mises en avant par l’Occident (le respect de la vie, la liberté de conscience et de religion, l’égalité homme-femme) sont eux-mêmes sacrifiés sur l’autel des intérêts financiers et stratégiques des États les plus forts, du respect de frontières coloniales (Sykes/Picot) autrement décriées par tous et d’un ordre politique qui n’est que désordre, exactions et souffrances pour le plus grand nombre.
Après avoir étranglé le Kurdistan au lendemain de son référendum indicatif en bouclant toutes ses frontières, la Turquie, l’Iran et l’Irak veulent mettre fin au processus de développement d’un pays respectueux de la diversité et de la liberté ; d’un pays laïc non fondé sur la religion et le sectarisme ; d’un pays qui démontre qu’une autre solution est possible dans une région minée par le cancer de l’intolérance.
Ces jours-ci, c’est à Afrine, au nord-ouest de la Syrie, que l’horreur contre les Kurdes s’est déplacée. Sans aucun droit, sans avoir été attaquée, l’armée turque a traversé la frontière avec la Syrie pour liquider les militaires kurdes qui s’y trouvent et qui encadrent la population. Erdogan poursuit sa vendetta contre ses concitoyens kurdes jusque chez son voisin syrien, qu’il envahit sans droit. L’Occident, les États-Unis et surtout l’Europe restent silencieux devant cette invasion et ce massacre annoncé. L’Europe aurait-elle peur que la Turquie laisse partir des milliers de réfugiés qui n’attendent que l’occasion de reprendre les routes boueuses et enneigées de l’Europe vers un avenir meilleur ?
La parole reniée de l’Occident
Dans ces conflits en Syrie et en Irak, l’Occident a déjà trop souvent renié ses engagements et ses valeurs proclamées. La Bonne Parole occidentale, ses appels au respect de la vie, de la liberté, de la justice sonnent de plus en plus creux, ne masquant que la fluctuation d’intérêts successifs conjoncturels. La crise actuelle et les massacres qui l’accompagnent ne sont pas qu’au Moyen-Orient, mais aussi à Washington, à Paris et autres capitales, y compris à Ottawa. Il est plus que temps de faire concorder nos discours et nos actes.