Des peshmergas
Des peshmergas dans un village de la plaine de Ninive, près de Mossoul le 16 août.
Photo Laurence Geai
Liberation.fr | Par Luc Mathieu
En Syrie, le déploiement de l’armée turque, appuyée par des anti-Assad, crée un nouveau front pour les combattants kurdes, déjà aux prises avec l’EI.
C’est un front supplémentaire dans une guerre qui n’en manquait déjà pas. Depuis le 24 août, l’armée turque s’est déployée en Syrie, le long de la frontière. L’opération avait été annoncée comme brève, elle semble conçue pour durer. Une cinquantaine de chars, des avions de chasse et près de 400 soldats, selon la presse turque, circulent désormais en Syrie. «Nous n’accepterons aucune activité terroriste à, ou près de, nos frontières», a déclaré dimanche le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’une visite à Gaziantep. Avant de préciser qu’il lutterait avec «la même détermination» contre les jihadistes de l’Etat islamique (EI) que contre les combattants kurdes du YPG (Unités de protection du peuple). Ceux-là sont affiliés au PKK, en guerre depuis plus de trente ans contre Ankara (voir pages 4-5). Le gouvernement turc est donc absolument hostile à ce que les Kurdes syriens unifient leurs territoires, le Rojava, dans le nord du pays. Depuis le début de la guerre, bénéficiant d’un accord tacite de non-agression avec l’armée de Bachar al-Assad globalement respecté, ils sont parvenus à instaurer une autonomie de fait dans une bande qui va de la frontière irakienne jusqu’à Kobané. Leur objectif est de faire la jonction avec le canton d’Afrin, au nord d’Alep (lire interview page 6).
Les combattants kurdes étaient en passe d’y parvenir. Après avoir franchi l’Euphrate, ils ont lancé mi-juin l’assaut sur Manbij, une ville par où ont transité la plupart des jihadistes occidentaux qui rejoignaient le «califat» de l’EI. Les Kurdes s’étaient alliés à des brigades arabes sunnites au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS). Soutenus par des frappes de la coalition, ils ont réussi, après deux mois de combats, à s’emparer de Manbij. La voie était ensuite ouverte pour progresser vers Jarablous, le dernier poste-frontière avec la Turquie encore contrôlé par l’EI.
Les FDS s’apprêtaient à l’attaquer la semaine dernière quand l’armée turque a lancé sa propre offensive, «Bouclier de l’Euphrate». Elle aussi soutenue par l’aviation américaine, elle s’est appuyée au sol sur des brigades rebelles syriennes, dont Nourredine al-Zenki, Faylaq al-Sham et les Turkmènes de Sultan Mourad. Il ne leur a fallu que douze heures pour reprendre Jarablous. La grande majorité des jihadistes de l’EI avaient fui quelques jours plus tôt.
Mais Ankara ne s’est pas contenté de cette victoire. Ses chars, et les rebelles qu’il soutient, ont continué à avancer. Cela a donné lieu à des situations ubuesques. Telles ces brigades rebelles syriennes, soutenues par la CIA, qui ont fait prisonniers des combattants des FDS, appuyés, eux, par le Pentagone. En quelques jours, les rebelles ont repris une dizaine de villages aux forces kurdes et à l’EI.
Les affrontements se sont amplifiés samedi et dimanche. Les Kurdes ont dénoncé des bombardements aériens sur deux villages au sud de Jarablous. L’armée turque a de son côté affirmé avoir tué «25 terroristes» du YPG. Un bilan infirmé par l’Observatoire syrien des droits de l’homme qui estime que les frappes ont tué 40 civils et blessé plus de 70 personnes.
Cette escalade place les Etats-Unis en porte-à-faux. Alors qu’ils soutiennent les Kurdes, à l’instar de plusieurs autres pays occidentaux, depuis la bataille de Kobané, ils ont aussi appuyé l’offensive turque contre Jarablous pour ne pas heurter Ankara. Le vice-président Joe Biden a même averti les FDS qu’elles devaient se retirer à l’est de l’Euphrate. «[Sinon], elles ne pourront en aucune circonstance recevoir le soutien américain», a-t-il ajouté. C’est l’une des principales exigences d’Ankara, qui souhaite cantonner les Kurdes dans le nord-est syrien et créer une «zone de sécurité» au nord d’Alep où pourraient se réfugier les Syriens qui fuient les combats, voire accueillir une partie de ceux qui se sont exilés en Turquie ces cinq dernières années.
Mais lundi, devant le risque d’embrasement, le Pentagone a réagi et dénoncé les attaques contre les forces kurdes. «Nous voulons clarifier que ces combats sont inacceptables et suscitent notre profonde inquiétude. […] C’est une zone de combats déjà bondée, et nous appelons tous les acteurs à se retirer immédiatement et à prendre des mesures appropriées pour cesser les combats», a indiqué un communiqué, notant que l’EI n’était pas présent dans les villages visés par l’armée turque.
Population Il n’existe que des estimations, mais le chiffre de 35 millions de Kurdes à travers le monde est le plus couramment évoqué. La Turquie, premier pays de peuplement, en compte 15 millions, soit environ 20 % de la population du pays. L’Irak, 7 millions, soit là encore 20 % de la population. En Iran, ils seraient à peu près 8 millions (18 %), et en Syrie, 2 millions (8 %). La diaspora kurde en Europe est estimée à plus d’1,5 million de personnes, dont 950 000 en Allemagne.
Les Kurdes
Territoire Les zones de peuplement à majorité kurde dessinent un espace continu appelé Kurdistan. Après la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres (1920) conclu entre les Alliés et l’Empire ottoman prévoyait la création d’un Kurdistan autonome. Mais il est resté lettre morte, en raison notamment du coup de force de Mustafa Kemal, le père de la Turquie moderne, qui oblige à négocier un autre pacte. Signé à Lausanne en 1923, le nouveau traité sacrifie le Kurdistan.
Religion Les Kurdes sont en grande majorité des musulmans sunnites. Mais on retrouve également des Kurdes chiites, yézidis (adeptes d’une religion pré-islamique), alévis (branche hétérodoxe de l’islam issue du chiisme) et chrétiens.
Langue Le kurde, langue indo-européenne, comprend plusieurs dialectes. Le plus parlé est le kurmanji, parlé en Turquie, en Syrie et dans le nord de l’Irak et de l’Iran. Mais dans ces deux derniers pays, le dialecte majoritaire est le sorani