Les médias privés émettent en kurde

Info - JÉRÔME BASTION - 24 mars 2006
CORRESPONDANT À ISTANBUL

Deux chaînes de télévision et une radio privées du sud-est de la Turquie à majorité kurde, ont commencé jeudi soir à émettre en langue kurde.

C'est un pas important. Mais les débats politiques et le direct sont interdits.

Deux ans jour pour jour après notre demande officielle, ce n'est pas trop tôt!».

Cemal Dogan, rédacteur en chef de la chaîne de télévision Gün, estime avoir beaucoup attendu pour pouvoir diffuser enfin, jeudi soir en Turquie, le premier programme en langue kurde sur une chaîne privée.

«Dergusa çande», en français «le berceau de la culture», devait présenter hier soir une discussion sur le patrimoine culturel régional, à l'instar de Söz, la chaîne concurrente de Diyarbakir, alors que la radio Medya FM, à Sanliurfa, mettait en onde une émission d'actualité. «C'est une avancée», commente le journaliste kurde Mahmut Bozarslan, «mais à la portée immédiate insignifiante».

C'est la télévision nationale TRT qui avait la première, en juin 2004, enterré le tabou des dialectes régionaux dans l'audiovisuel, près de 15 ans après la levée de l'interdiction de la publication dans d'autres langues que la langue turque officielle.

Une demi-heure quotidienne dans les langues des différentes communautés non turcophones: kurde bien sûr, mais aussi arabe, laze et... bosniaque! Une petite révolution à l'époque, largement commandée par la nécessité pour la Turquie de satisfaire aux critères politiques devant lui permettre d'ouvrir ses négociations d'adhésion à l'Union Européenne (UE).

«Des programmes de début de matinée inintéressants», selon Cemal Dogan, suivis par «une poignée de spectateurs à peine», renchérit Mahmut Bozarslan.

Sous-titrage en turc

Cette désaffection est à l'origine de l'extension, tardive, aux médias privés du droit de diffuser «en langue maternelle», selon la formule légale. Mais la marge de manoeuvre de ces organes audiovisuels locaux reste trop étroite pour susciter un véritable engouement populaire, traduisant la crainte d'Ankara de perdre le contrôle d'une expression trop dissidente, derrière laquelle plane la menace de la propagande séparatiste de la rébellion du Parti des Travailleurs du Kurdistan.

Les télévisions auront le droit de diffuser 45 minutes de programme en kurde chaque jour, avec un maximum de 4 heures par semaine, et les radios 60 minutes par jour et 5 heures par semaine. Tout sera traduit en langue turque, et les émissions en direct sont proscrites. En outre, films et dessins animés de fiction sont interdits, ainsi que les débats politiques. Restent des résumés d'actualité, la culture, le sport, la musique, l'environnement, l'agriculture, la santé et l'économie domestique.

«C'est bien sûr insuffisant», regrette l'animateur de Gün-tv. «Bien sûr, si on regarde ce qui s'est passé ces 20 dernières années, c'est un pas symbolique important, mais ce n'est pas un très grand progrès», dit Cemal Dogan, qui se montre confiant cependant sur un futur élargissement de ses prérogatives.

«Alors qu'une dizaine de chaînes satellite kurdes du monde entier sont suivies par la population locale, on ne peut pas espérer avoir beaucoup d'audience et rivaliser avec elle tant qu'on est ainsi corseté», ajoute-t-il. «Les spectateurs attendent une antenne plus libre, plus vivante, plus colorée», renchérit Mahmut Bozarslan, sans quoi «les télévisions locales n'auront pas plus de succès que les médias d'Etat.»

© La Libre Belgique 2006